Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/245

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à se regarder sans se rien dire ; il me sembla même que je les vis pleurer un peu : et puis Mme Dorsin, en secouant la tête : Ah ! madame, dit-elle, je vous demandais Marianne ; mais je ne l’aurai pas, je vois bien que vous la garderez pour vous.

Oui, c’est ma fille plus que jamais, répondit ma bienfaitrice avec un attendrissement qui ne lui permit de dire que ce peu de mots ; et sur-le-champ elle me tendit une troisième fois la main, que je pris alors du mieux que je pus, et que je baisai mille fois à genoux, si attendrie moi-même, que j’en étais comme suffoquée. Il se passa en même temps un moment de silence qui fut si touchant, que je ne saurais encore y penser sans me sentir remuée jusqu’au fond de l’âme.

Ce fut Mme Dorsin qui le rompit la première. Est-ce qu’il n’y a pas moyen que je l’embrasse ? s’écria-t-elle. Je n’ai de ma vie été si émue que je le suis ; je ne sais plus qui des deux j’aime le plus, ou de la mère, ou de la fille.

Ah çà ! Marianne, me dit Mme de Miran quand tous nos mouvements furent calmés, qu’il ne vous arrive donc plus, tant que je vivrai, de dire que vous êtes orpheline, entendez-vous ? Venons à mon fils. C’est sans doute Mme Dutour, cette marchande chez qui vous demeuriez, qui lui aura dit où vous êtes.

Apparemment, répondis-je ; je ne le lui ai pourtant pas dit à elle-même, et je n’avais garde, puisque