Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/266

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est vrai que je vous plais ; mais vous ne vous attachez pas à moi seulement à cause que je suis jolie, ce ne serait pas la peine ; et apparemment que vous me croyez d’un bon caractère, et en ce cas, comment pouvez-vous espérer que je consente à un amour qui vous attirerait le blâme de tout le monde, qui vous brouillerait avec toute une famille, avec tous vos amis, avec tous les gens qui vous estiment, et avec moi aussi ? Car quel repentir n’auriez-vous pas, quand vous ne m’aimeriez plus, et que vous vous trouveriez le mari d’une femme qui serait moquée, que personne ne voudrait voir, et qui ne vous aurait apporté que du malheur et que de la honte ? Encore n’est-ce rien que tout ce que je dis là, ajoutai-je avec un attendrissement qui me fit pleurer. À présent que je suis si obligée à Mme de Miran, quelle méchante créature ne serais-je pas, si je vous épousais ? Pourriez-vous sentir autre chose pour moi que de l’horreur, si j’en étais capable ? Y aurait-il rien de si abominable que moi sur la terre, surtout dans l’occurrence où je sais que vous êtes ? Car je suis informée de tout ; ma mère me vint voir hier à son ordinaire, elle était triste. Je lui demandai ce qu’elle avait, elle me dit que son fils la chagrinait ; je l’écoutais sans m’attendre que je serais mêlée là-dedans. Elle me dit aussi qu’elle avait toujours été fort contente de ce fils, mais qu’elle ne le reconnaissait plus depuis qu’il avait vu une certaine jeune fille ; là-dessus elle me conta notre histoire, et cette jeune fille qui vous dérange, qui fait que vous manquez à votre parole, qui afflige