Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/268

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saurait être à lui, mais qui ne sera jamais à personne, et qui de son côté ne refuse pas de lui dire que si elle avait été riche et son égale, elle avait si bonne opinion de lui qu’elle l’aurait préféré à tous les hommes du monde ; c’est une consolation que je veux bien lui donner à mon tour, et je n’y ai pas de regret, pourvu qu’il vous contente.

Je m’arrêtai alors, et me mis à essuyer les pleurs que je versais. Valville, toujours sa tête baissée, et plongé dans une profonde rêverie, fut quelque temps sans répondre. Mme de Miran le regardait, et attendait, la larme à l’œil, qu’il parlât. Enfin il rompit le silence, et s’adressant à ma bienfaitrice :

Ma mère, lui dit-il, vous voyez ce que c’est que Marianne ; mettez-vous à ma place, jugez de mon cœur par le vôtre. Ai-je eu tort de l’aimer ? me sera-t-il possible de ne l’aimer plus ? Ce qu’elle vient de me dire est-il propre à me détacher d’elle ? Que de vertus, ma mère, et il faut que je la quitte ! Vous le voulez, elle m’en prie, et je la quitterai : j’en épouserai une autre, je serai malheureux, j’y consens, mais je ne le serai pas longtemps.

Ses pleurs coulèrent après ce peu de mots ; il ne les retint plus : ils attendrirent Mme de Miran, qui pleura comme lui et qui ne sut que dire ; nous nous taisions tous trois, on n’entendait que des soupirs.