Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/287

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Nous dînâmes. Quelque novice et quelque ignorante que je fusse en cette occasion-ci, comme l’avait dit Mme de Miran, j’étais née pour avoir du goût, et je sentis bien en effet avec quelles gens je dînais.

Ce ne fut point à force de leur trouver de l’esprit que j’appris à les distinguer pourtant. Il est certain quels en avaient plus que d’autres, et que je leur entendais dire d’excellentes choses, mais ils les disaient avec si peu d’effort, ils y cherchaient si peu de façon, c’était d’un ton de conversation si aisé et si uni, qu’il ne tenait qu’à moi de croire qu’ils disaient les choses les plus communes. Ce n’était point eux qui y mettaient de la finesse, c’était de la finesse qui s’y rencontrait ; ils ne sentaient pas qu’ils parlaient mieux qu’on ne parle ordinairement ; c’était seulement de meilleurs esprits que d’autres, et qui par là tenaient nécessairement de meilleurs discours qu’on n’a coutume d’en tenir ailleurs, sans qu’ils eussent besoin d’y tâcher, et je dirais volontiers sans qu’il y eût de leur faute ; car on accuse quelquefois les gens d’esprit de vouloir briller. Oh ! il n’était pas question de cela ici ; et comme je l’ai déjà dit, si je n’avais pas eu un peu de goût naturel, un peu de sentiment, j’aurais pu m’y méprendre, et je ne me serais aperçu de rien.

Mais à la fin, ce ton de conversation si excellent, si exquis, quoique si simple, me frappa.

Ils ne disaient rien que de juste et que de convenable, rien qui ne fût d’un commerce doux, facile et gai. J’avais compris le monde tout autrement que