Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/426

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rendent encore meilleur ménager. Pour ce qui est de mes facultés présentes, elles ne sont pas bonnement bien considérables ; mon père a un peu mangé, un peu trop aimé la joie, ce qui n’enrichit pas une famille ; d’ailleurs, j’ai un frère et une sœur, dont je suis l’aîné à la vérité, mais c’est toujours trois parts au lieu d’une. On me donnera pourtant quelque chose d’avance en faveur de notre mariage ; mais ce n’est pas cela que je regarde ; le principal est qu’on me gratifie à présent d’une bonne place, et qu’on me va mettre dans les affaires, dès que notre contrat sera signé ; sans compter que depuis trois ans, je n’ai pas laissé que de faire quelques petites épargnes sur les appointements d’un petit emploi que j’ai, et qu’on me change contre un plus fort : ainsi, comme vous voyez, nous serions bientôt à notre aise, avec la protection que j’ai. C’est ce que vous saurez de la propre bouche de M. de… (il parlait du Ministre) ; car je ne vous dis rien que de vrai, ma chère demoiselle, ajouta-t-il en me prenant la main, qu’il voulut baiser.

Le cœur m’en souleva. Doucement, lui dis-je avec un dégoût que je ne pus dissimuler ; point de gestes, s’il vous plaît ; nous ne sommes pas encore convenus de nos faits. Qui êtes-vous, monsieur ? Qui je suis, mademoiselle ? me répondit-il d’un air confus et pourtant piqué. J’ai l’honneur d’être le fils du père nourricier de Mme de… (il me nomma la femme du ministre) ; ainsi elle est ma sœur de lait : rien que cela. Ma mère a une pension d’elle ; ma sœur la sert actuellement en qualité de première fille de chambre ;