Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/141

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a beaucoup (c’était le nom de notre dévot) ; c’est un homme plein de piété, qui ne croit pas pouvoir faire un meilleur usage de sa richesse que de la partager avec une fille de qualité aussi estimable, aussi vertueuse que vous l’êtes, et dont le mérite a besoin de fortune. Il vous offre sa main ; ce serait un mariage terminé en très peu de jours, et qui vous assurerait un établissement considérable. Il n’est question que d’en écrire à madame votre mère. Déterminez-vous ; il n’y a pas à hésiter, ce me semble, pour peu que vous réfléchissiez sur la situation où vous êtes, et sur celle où vous pouvez tomber à l’avenir. Je vous parle en amie ; le baron de Sercour n’est pas d’un âge rebutant. Il n’a pas beaucoup de santé, j’en conviens ; il est assez incertain qu’il vive longtemps, ajouta-t-elle en baissant le ton de sa voix ; mais enfin, Dieu est le maître, mademoiselle. Si vous veniez à perdre le baron, du moins vous laisserait-il de quoi chérir sa mémoire, et l’état de jeune et riche veuve, quoique affligée, est encore moins embarrassant que celui d’une fille de condition qui est fort mal à son aise. Qu’en dites-vous ? Acceptez-vous le parti ?

Je restai quelques moments sans répondre. Ce mari qu’on m’offrait, cette figure de pénitent, triste et langoureux, ne me revenait guère. C’était ainsi que je l’envisageais alors ; mais j’avais de la raison.

Née sans bien, presque abandonnée de ma mère comme je l’étais, je n’ignorais pas tout ce que ma condition avait de fâcheux. J’en avais déjà été effrayée plus d’une fois ; c’était ici l’instant de penser à moi