Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

triste et mutin ; j’aimerais encore mieux être le dernier des autres que le plus fâché de tous. Le dernier des autres trouve toujours le pain bon quand on lui en donne ; mais le plus fâché de tous n’a jamais d’appétit à rien ; il n’y a pas de morceau qui lui profite, quand ce serait de la perdrix : et, ma foi, l’appétit mérite bien qu’on le garde ; et je le perdrais, malgré toute ma bonne chère, si j’épousais votre femme de chambre.

Votre parti est donc pris ? repartit monsieur.

Ma foi oui, monsieur, répondis-je, et j’en ai bien du regret ; mais que voulez-vous ? dans notre village, c’est notre coutume de n’épouser que des filles, et s’il y en avait une qui eût été femme de chambre d’un monsieur, il faudrait qu’elle se contentât d’avoir un amant ; mais pour de mari, néant ; il en pleuvrait, qu’il n’en tomberait pas un pour elle ; c’est notre régime, et surtout dans notre famille. Ma mère se maria fille, sa grande mère en avait fait autant ; et de grandes mères en grandes mères, je suis venu droit comme vous voyez, avec l’obligation de ne rien changer à cela.

Je me fus à peine expliqué d’un ton si décisif, que me regardant d’un air fier et irrité : Vous êtes un coquin, me dit-il. Vous avez fait chez moi publiquement l’amour à Geneviève ; vous n’aspiriez d’abord, m’a-t-elle dit, qu’au bonheur de pouvoir l’épouser un jour. Les autres filles de madame le savent ; d’un autre côté, vous osez l’accuser de n’être pas fille d’honneur ; vous êtes frappé de cette impertinente idée-là ; je ne