Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/164

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Mon mari, quand je l’épousai, dit-elle, avait du bien, il jouissait d’une fortune suffisante. Bon ! reprit-il, suffisante ! À quoi cela va-t-il ? Tout ce qui n’est que suffisant ne suffit jamais ; voyons, comment a-t-il perdu cette fortune ?

Par un procès, reprit-elle, que nous avons eu contre un seigneur de nos voisins pour de certains droits ; procès qui n’était presque rien d’abord, qui est devenu plus considérable que nous ne l’avions cru, qu’on a gagné contre nous à force crédit, et dont la perte nous a totalement ruinés. Il a fallu que mon mari soit venu à Paris pour tâcher d’obtenir quelque emploi ; on le recommanda à M. de Fécour, qui lui en donna un ; c’est ce même emploi qu’il lui a ôté ces jours passés, et que vous avez entendu que je lui redemandais. J’ignore s’il le lui rendra, il ne m’a rien dit qui me le promette ; mais je pars bien consolée, monsieur, puisque j’ai eu le bonheur de rencontrer une personne aussi généreuse que vous, et que vous avez la bonté de vous intéresser à notre situation.

Oui, oui, dit-il, ne vous affligez pas, comptez sur moi ; il faut bien secourir les gens qui sont dans la peine ; je voudrais que personne ne souffrît, voilà comme je pense, mais cela ne se peut pas. Et vous, mon garçon, d’où êtes-vous ? me dit-il à moi. De Champagne, monsieur, lui répondis-je.

Ah ! du pays du bon vin ? reprit-il, j’en suis bien aise ; vous y avez votre père ? Oui, monsieur. Tant