Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/199

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c’était une grande dame, laide, maigre, d’une physionomie sèche, sévère et critique, qui lisait.

Ah ! mon Dieu, dit-elle en pie-grièche, et s’interrompant quand je fus entré, est-ce que vous n’avez pas fermé cette porte, vous autres ? Il n’y a donc personne là-bas pour empêcher de monter ? Ma sœur est-elle en état de voir du monde ?

Le compliment n’était pas doux, mais il s’ajustait à merveilles à l’air de la personne qui le prononçait ; sa mine et son accueil étaient faits pour aller ensemble.

Elle n’avait pourtant pas l’air d’une dévote, celle-là ; et comme je l’ai connue depuis, j’ai envie de vous dire en passant à quoi elle ressemblait.

Imaginez-vous de ces laides femmes qui ont bien senti qu’elles seraient négligées dans le monde, qu’elles auraient la mortification de voir plaire les autres et de ne plaire jamais, et qui, pour éviter cet affront-là, pour empêcher qu’on ne voie la vraie cause de l’abandon où elles resteront, disent en elles-mêmes, sans songer à Dieu ni à ses saints : Distinguons-nous par des mœurs austères ; prenons une figure inaccessible, affectons une fière régularité de conduite, afin qu’on se persuade que c’est ma sagesse et non pas mon visage qui fait qu’on ne me dit mot.

Et effectivement cela réussit quelquefois, et la dame en question passait pour une femme hérissée de cette espèce de sagesse-là.

Comme elle m’avait déplu dès le premier coup d’œil, son discours ne me démonta point, il me parut