Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/23

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j’entrai en riant, et ramassant mon gant : Ah ! mademoiselle, je vous demande pardon, lui dis-je, d’avoir mis jusqu’ici sur le compte de la nature des appas dont tout l’honneur n’est dû qu’à votre industrie. Qu’est-ce que c’est ? que signifie ce discours ? me répondit-elle. Vous parlerai-je plus franchement ? lui dis-je ; je viens de voir les machines de l’Opéra ; il me divertira toujours, mais il me touchera moins. Je sortis là-dessus, et c’est de cette aventure que naquit en moi cette misanthropie qui ne m’a point quitté, et qui m’a fait passer ma vie à examiner les hommes, et à m’amuser de mes réflexions.


DEUXIÈME FEUILLE.


Les austérités des fameux anachorètes de la Thébaïde, les supplices ingénieux qu’ils inventaient contre eux-mêmes pour tourmenter la nature ; cette mort toujours nouvelle, toujours douloureuse qu’ils donnaient à leurs sens ; tout cela, joint à l’horreur de leurs déserts, ne composait peut-être pas la valeur des peines que peut éprouver une femme du monde, jeune, aimable, aimée, et qui veut être vertueuse.

Ce que je dis là paraîtra sans doute ridicule à bien des gens. Un anachorète ! s’écriera-t-on : un homme atténué, mourant, épuisé de jeûnes et de veilles ! un homme !… Mais ce n’est plus un homme ; ce n’en sont plus que les ruines. Jugez de ses souffrances par leurs effets, jugez de ses combats par la