Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/30

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époux ; ne voyez-vous pus qu’enfin nous nous serions trahis tous deux ? Vous n’auriez donc aimé qu’une femme indigne, et je n’aurais aimé qu’un malhonnête homme. Juste ciel ! cette réflexion m’attendrit sur vous, et je ne me reproche point le mouvement de tendresse qui me vient ici. Vous êtes naturellement vertueux ; quel malheur que vous cessassiez de l’être ! Et ce malheur, voudriez-vous qu’il fût mon ouvrage ? Voilà ce que je sens ; rendez-moi tendresse pour tendresse. Que la votre à présent ressemble à la mienne : vous avez les mêmes réflexions à faire sur moi, c’est même horreur à envisager pour nous deux. Je suis née vertueuse aussi bien que vous ; auriez-vous le courage de m’ôter ma vertu ? M’ôter ma vertu ! l’amour même, dans une âme comme la vôtre, est-il compatible avec cette idée-là ? Je sais bien que nous aurons quelque peine à penser toujours de même ; mais j’y ai pourvu ; j’ai fait remarquer à mon mari que vous veniez souvent ici, et que vos visites, tout innocentes quelles étaient, pouvaient nuire à une femme de mon âge. Il vous le dira, il me l’a promis ; prenez votre parti là-dessus. Si je vous revois encore chez moi, mon mari saura que je vous aime ; j’y suis résolue ; j’en perdrai peut-être son estime et son amour ; mais, pour les mériter, il faut me résoudre à les perdre ; et si ce n’est encore assez, j’instruirai tous mes amis de ma faiblesse ; ils seront autant de barrières que je mettrai entre vous et moi. Voilà des extrémités où assurément vous êtes