Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/32

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de cette élévation. J’aimais, dans la fierté de Tatius, cette rudesse des premiers temps, ce courage inaccessible aux conseils de la nécessité, et digne alors d’un roi légitime, qui savait être plus vertueux que raisonnable. J’aimais à voir Hersilie ressembler dans son espèce à son père, se punir d’aimer en secret Romulus, en lui montrant de la haine, et peut-être le maltraiter plus que s’il lui avait été indifférent ; avouer enfin son amour. Mais, disais-je en moi-même, que devient cet aveu, placé comme il est ? C’est une exposition rapide de tous les sacrifices qu’elle a faits de ses mouvemens à sa vertu ; c’est un torrent de tous les sentimens qu’elle avait retenus ; c’est le salut de son père et de son amant ; et cet amant, quel est-il ? quel est son caractère ? c’est toute la vertu, toute la générosité possible, tour à tour maîtresse et dépendante du libertinage des sentimens d’un jeune homme, et d’un jeune homme, chef de bandits illustres.

C’étaient là les pensées qui m’occupaient, lorsqu’en descendant l’escalier de la comédie, je me sentis arrêté par une dame plus âgée que moi, et avec qui je suis sur le pied d’un ami de trente ans. Vieux rêveur, me dit-elle en me tirant par la manche, voulez-vous venir souper chez moi ? Soit, mon ancienne, lui répondis-je ; notre tête-à-tête ne sera point de mauvais exemple. Nous trouverons compagnie, me dit-elle. Là-dessus, nous tâchâmes de percer la foule, et de sortir ; nous eûmes de la peine à en venir à bout. Pendant les petites pauses que nous étions obligés de faire par intervalles, mon esprit pensif s’exerçait à