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fut reçu, de la part de l’autre, avec tous les témoignages possibles de reconnaissance.

Ces deux dames se connaissaient de nom, et par là savaient les égards qu’elles se devaient l’une à l’autre.

À tout cela Valville ne disait mot, et regardait seulement la demoiselle, sur qui, contre son ordinaire, je lui trouvais les yeux attachés plus souvent que sur moi ; ce que j’attribuais, sans en être contente, à un pur mouvement de curiosité.

Le moyen de le soupçonner d’autre chose, lui qui m’aimait tant, qui venait dans la même journée de m’en donner de si grandes preuves ; lui que j’aimais tant moi-même, à qui je l’avais tant dit, et qui était si charmé d’en être sûr.

Hélas ! sûr ! peut-être ne l’était-il que trop. On ne le croirait pas, mais les âmes tendres et délicates ont volontiers le défaut de se relâcher dans leur tendresse, quand elles ont obtenu toute la vôtre : l’envie de vous plaire leur fournit des grâces infinies, leur fait faire des efforts qui sont délicieux pour elles ; mais dès qu’elles ont plu, les voilà désœuvrées.

Quoi qu’il en soit, la jeune demoiselle, en reconnaissance de l’attachement que madame de Miran m’ordonnait d’avoir pour elle, vint galamment se jeter à mon cou, et me demander mon amitié. Cette action, à laquelle elle se livra de la manière du monde la plus aimable et la plus naïve, m’attendrit ; je n’en aurais peut-être pas fait autant qu’elle ; non qu’elle ne m’eût paru fort digne d’être aimée ; mais mon cœur ne me disait rien pour elle, ou plutôt je me sentais un fond de froideur que j’aurais eu de la peine à vaincre, et qui ne tint point contre ses caresses : je les lui rendis avec toute la sensibilité dont j’étais capable, et m’intéressai véritablement à elle, qui, s’arrachant encore d’entre les bras de sa mère, se retira dans le couvent. Je lui criai que j’allais la suivre dès que nous aurions vu l’abbesse, avec qui madame de Miran voulait avoir un instant d’entretien.

La mère remonta dans son équipage, baignée de ses larmes et le lendemain partit en effet pour l’Angleterre.

Madame de Miran alla un instant parler à l’abbesse, me