Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrit, mais ce n’est plus à moi, dis-je, mais ce n’est plus à moi !

Je fus si pénétrée de cette réflexion, j’en eus le cœur si serré, que je fus longtemps comme étouffée par mes soupirs, et sans pouvoir commencer la lecture de cette lettre, qui était courte, et dont voici les termes :

« Depuis le jour de votre accident, mademoiselle, je ne suis plus à moi. En venant ici aujourd’hui, j’ai prévu que mon respect m’empêcherait de vous le dire, mais j’ai prévu aussi que mon trouble et mes regards timides vous le diraient ; vous m’avez vu en effet trembler devant vous, et vous avez voulu vous retirer sur-le-champ. Je crains que cette lettre-ci ne vous irrite aussi ; cependant mon cœur n’y sera pas plus hardi qu’il ne l’a été tantôt ; il y tremble encore, et voici simplement de quoi il est question. Vous aurez sans doute accordé votre amitié à mademoiselle Marianne, et il y a quelque apparence qu’au sortir du parloir vous irez lui confier votre étonnement, hélas ! peut-être votre indignation sur mon compte ; et vous me nuirez auprès de ma mère, que j’instruirai moi-même dans un autre temps, mais qu’il ne serait pas à propos qu’on instruisît aujourd’hui, et à qui pourtant mademoiselle Marianne conterait tout. J’ai cru devoir vous en avertir. Mon secret m’est échappé ; je vous adore ; je n’ai pas osé vous le dire, mais vous le savez. Il ne serait pas temps qu’on le sût et vous êtes généreuse. »

Remettons la suite de cet événement à la huitième partie, madame ; je vous en ôterais l’intérêt si j’allais plus loin sans achever. Mais l’histoire de cette religieuse, que vous m’avez tant de fois promise, quand viendra-t-elle ? me dites-vous. Oh ! pour cette fois-ci, voilà sa place ; je ne pourrai plus m’y tromper ; c’est ici que Marianne va lui confier son affliction ; et c’est ici qu’à son tour elle essaiera de lui donner quelques motifs de consolation en lui racontant ses aventures.

FIN DE LA SEPTIÈME PARTIE.