Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/120

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manières, que vous importe ce qui en arriverait ? Cela vous doit être indifférent. Vous ne m’aimez pas ; car enfin, si je le pensais…

Lélio.

Eh ! je vous prie, point de menace, madame ; vous m’avez tantôt offert votre amitié ; je ne vous demande que cela, je n’ai besoin que de cela ; ainsi vous n’avez rien à craindre.

La Comtesse, d’un air froid.

Puisque vous n’avez besoin que de cela, monsieur, j’en suis ravie ; je vous l’accorde, j’en serai moins gênée avec vous.

Lélio.

Moins gênée ? Ma foi ! madame, il ne faut pas que vous le soyez du tout. Tout bien pesé, je crois que nous ferons mieux de suivre les termes de votre billet.

La Comtesse.

Oh ! de tout mon cœur : allons, monsieur, ne nous voyons plus. Je fais présent de cent pistoles au neveu de mon fermier ; vous me ferez savoir ce que vous voulez donner à la fille, et je verrai si je souscrirai à ce mariage, puisque cette rupture va lever l’obstacle que vous y avez mis. Soyons-nous inconnus l’un à l’autre ; j’oublie que je vous ai vu ; je ne vous reconnaîtrai pas demain.

Lélio.

Et moi, madame, je vous reconnaîtrai toute ma vie ; je ne vous oublierai point ; vos façons avec moi vous ont gravée pour jamais dans ma mémoire.

La Comtesse.

Vous m’y donnerez la place qu’il vous plaira, je n’ai rien à me reprocher ; mes façons ont été celles d’une femme raisonnable.