Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/244

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Arlequin.

Que voulez-vous, monseigneur ? il y a une fille qui m’aime ; vous, vous en avez plein votre maison, et cependant vous m’ôtez la mienne. Prenez que je suis pauvre et que tout mon bien est un liard ; vous qui êtes riche de plus de mille écus, vous vous jetez sur ma pauvreté et vous m’arrachez mon liard ; cela n’est-il pas bien triste ?

Le Prince, à part.

Il a raison, et ses plaintes me touchent.

Arlequin.

Je sais bien que vous êtes un bon prince, tout le monde le dit dans le pays ; il n’y aura que moi qui n’aurai pas le plaisir de dire comme les autres.

Le Prince.

Je te prive de Silvia, il est vrai ; mais demande-moi ce que tu voudras ; je t’offre tous les biens que tu pourras souhaiter, et laisse-moi cette seule personne que j’aime.

Arlequin.

Qu’il ne soit pas question de ce marché-là, vous gagneriez trop sur moi. Parlons en conscience ; si un autre que vous me l’avait prise, est-ce que vous ne me la feriez pas remettre ? Eh bien ! personne ne me l’a prise que vous ; voyez la belle occasion de montrer que la justice est pour tout le monde !

Le Prince, à part.

Que lui répondre ?

Arlequin.

Allons, monseigneur, dites-vous comme cela : « Faut-il que je retienne le bonheur de ce petit homme parce que j’ai le pouvoir de le garder ? N’est-ce pas à moi à être son protecteur, puisque