Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/276

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été inutile ; j’ai été témoin de mon malheur ; j’ai depuis toujours demeuré dans le lieu ; il a fallu m’en arracher, je n’en arrivai qu’avant-hier. Je me meurs, je voudrais mourir, et je ne sais pas comment je vis encore.

La Marquise.

En vérité, il semble dans le monde que les afflictions ne soient faites que pour les honnêtes gens.

Le Chevalier.

Je devrais retenir ma douleur, madame ; vous n’êtes que trop affligée vous-même.

La Marquise.

Non, chevalier, ne vous gênez point ; votre douleur fait votre éloge, je la regarde comme une vertu ; j’aime à voir un cœur estimable, car cela est si rare, hélas ! Il n’y a plus de mœurs, plus de sentiment dans le monde ; moi, qui vous parle, on trouve étonnant que je pleure depuis six mois ; vous passerez aussi pour un homme extraordinaire, il n’y aura que moi qui vous plaindrai véritablement, et vous êtes le seul qui rendra justice à mes pleurs ; vous me ressemblez, vous êtes né sensible, je le vois bien.

Le Chevalier.

Il est vrai, madame, que mes chagrins ne m’empêchent pas d’être touché des vôtres.

La Marquise.

J’en suis persuadée ; mais venons au reste : que me voulez-vous ?

Le Chevalier.

Je ne verrai plus Angélique ; elle me l’a défendu, et je veux lui obéir.