Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/278

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je vous ai perdue, que je voudrais vous parler pour redoubler la douleur de ma perte, pour m’en pénétrer jusqu’à mourir.

(Répétant les derniers mots, et s’interrompant.)

Pour m’en pénétrer jusqu’à mourir ! Mais cela est étonnant ; ce que vous dites là, chevalier, je l’ai pensé mot pour mot dans mon affliction ; peut-on se rencontrer jusque-là ! En vérité, vous me donnez bien de l’estime pour vous ! Achevons.

(Elle relit.)

Mais c’est fait, et je ne vous écris que pour vous demander pardon de ce qui m’échappa contre vous à notre dernière entrevue ; vous me quittiez pour jamais, Angélique, j’étais au désespoir ; et dans ce moment-là, je vous aimais trop pour vous rendre justice ; mes reproches vous coûtèrent des larmes, je ne voulais pas les voir, je voulais que vous fussiez coupable, et que vous crussiez l’être, et j’avoue que j’offensais la vertu même. Adieu, Angélique, ma tendresse ne finira qu’avec ma vie, et je renonce à tout engagement ; j’ai voulu que vous fussiez contente de mon cœur, afin que l’estime que vous aurez pour lui excuse la tendresse dont vous m’honorâtes.

(Après avoir lu, et rendant la lettre.)

Allez, chevalier, avec cette façon-là de sentir, vous n’êtes point à plaindre. Quelle lettre ! Autrefois le marquis m’en écrivit une à peu près de même, je croyais qu’il n’y avait que lui au monde qui en fût capable ; vous étiez son ami, et je ne m’en étonne pas.

Le Chevalier.

Vous savez combien son amitié m’était chère.

La Marquise.

Il ne la donnait qu’à ceux qui la méritaient.