Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dorante.

Et moi, je ne te perds point de vue.

Silvia.

Tiens, Bourguignon, une bonne fois pour toutes, demeure, va-t’en, reviens, tout cela doit m’être indifférent, et me l’est en effet ; je ne te veux ni bien ni mal ; je ne te hais, ni ne t’aime, ni ne t’aimerai, à moins que l’esprit ne me tourne. Voilà mes dispositions ; ma raison ne m’en permet point d’autres, et je devrais me dispenser de te le dire.

Dorante.

Mon malheur est inconcevable. Tu m’ôtes peut-être tout le repos de ma vie.

Silvia.

Quelle fantaisie il s’est allé mettre dans l’esprit ! Il me fait de la peine. Reviens à toi. Tu me parles, je te réponds ; c’est beaucoup, c’est trop même ; tu peux m’en croire, et, si tu étais instruit, en vérité, tu serais content de moi ; tu me trouverais d’une bonté sans exemple, d’une bonté que je blâmerais dans une autre. Je ne me la reproche pourtant pas ; le fond de mon cœur me rassure, ce que je fais est louable. C’est par générosité que je te parle ; mais il ne faut pas que cela dure ; ces générosités-là ne sont bonnes qu’en passant, et je ne suis pas faite pour me rassurer toujours sur l’innocence de mes intentions ; à la fin, cela ne ressemblerait plus à rien. Ainsi, finissons, Bourguignon ; finissons, je t’en prie. Qu’est-ce que cela signifie ? c’est se moquer ; allons, qu’il n’en soit plus parlé.

Dorante.

Ah ! ma chère Lisette, que je souffre !