Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/448

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quand elle en aurait ; c’est une jeune et timide personne, à qui jusqu’ici son éducation n’a rien appris qu’à obéir.

Madame Argante.

C’est, je pense, ce qu’elle pouvait apprendre de mieux à son âge.

Lisette.

Je ne dis pas le contraire.

Madame Argante.

Mais enfin, vous paraît-elle contente ?

Lisette.

Y peut-on rien connaître ? Vous savez qu’à peine ose-t-elle lever les yeux, tant elle a peur de sortir de cette modestie sévère que vous lui prescrivez ; tout ce que j’en sais, c’est qu’elle est triste.

Madame Argante.

Oh ! je le crois ; c’est une marque qu’elle a le cœur bon ! Elle va se marier, elle me quitte, elle m’aime, et notre séparation est douloureuse.

Lisette.

Eh ! eh ! ordinairement, pourtant, une fille qui va se marier est assez gaie.

Madame Argante.

Oui, une fille dissipée, élevée dans un monde coquet, qui a plus entendu parler d’amour que de vertu, et que mille jeunes étourdis ont eu l’impertinente liberté d’entretenir de cajoleries. Mais une fille retirée, qui vit sous les yeux de sa mère et dont rien n’a gâté ni le cœur ni l’esprit, ne laisse pas d’être alarmée quand elle change d’état. Je connais Angélique et la simplicité de ses mœurs ; elle n’aime pas le monde, et je suis sûre qu’elle ne me quitterait jamais si je l’en laissais la maîtresse.