Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Frontin.

Excusez, madame ; je ne finis point quand j’abrège.

La Marquise.

Le chevalier m’aime-t-il encore ?

Frontin.

Il n’en reste pas vestige ; il ne sait pas qui vous êtes.

La Marquise.

Et sans doute il aime la comtesse ?

Frontin.

Bon, l’aimer ! belle égratignure ! c’est traiter un incendie d’étincelle. Son cœur est brûlant, madame ; il est perdu d’amour.

Dorante, d’un air riant.

Et la comtesse ne le hait pas apparemment ?

Frontin.

Non, non ; la vérité est à plus de mille lieues de ce que vous dites.

Dorante.

J’entends qu’elle répond à son amour.

Frontin.

Bagatelle ! Elle n’y répond plus. Toutes ses réponses sont faites ; ou plutôt dans cette affaire-ci, il n’y a eu ni demande ni réponse ; on ne s’en est pas donné le temps. Figurez-vous deux cœurs qui partent ensemble ; il n’y eut jamais de vitesse égale. On ne sait à qui appartient le premier soupir ; il y a apparence que ce fut un duo.

Dorante, riant.

Ah ! ah ! ah… (À part.) Je me meurs !

La Marquise, à part.

Prenez garde… Mais as-tu quelque preuve de ce que tu dis là ?