Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/537

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Le Chevalier.

Raconte-nous comment ils sé comportent. Par bonté d’âme, Madame a peur dé les désespérer ; moi jé dis qu’ils sé consolent. Qu’en est-il des deux ? Rien né l’arrête qué cette bonté, té dis-je ; tu m’entends bien ?

Frontin.

À merveille. Madame peut vous épouser en toute sûreté ; de désespoir, je n’en vois pas l’ombre.

Le Chevalier.

Jé vous gagne dé marché fait ; cé soir vous êtes mienne.

La Comtesse.

Hum ! votre gain est peu sûr ; Frontin n’a pas l’air d’avoir bien observé.

Frontin.

Vous m’excuserez, madame ; le désespoir est connaissable. Si c’étaient de ces petits mouvements minces et fluets qui se dérobent à l’observation, on pourrait s’y tromper ; mais le désespoir est un objet, c’est un mouvement qui tient de la place. Les désespérés s’agitent, se trémoussent, font du bruit, gesticulent ; et il n’y a rien de tout cela chez les gens dont nous parlons.

Le Chevalier.

Il vous dit vrai. J’ai tantôt rencontré Dorante, jé lui ai dit : J’aime la comtessé, j’ai passion pour elle. Eh bien ! garde-la, m’a-t-il dit tranquillement.

La Comtesse.

Eh ! vous êtes son rival, monsieur ; voulez-vous qu’il aille vous faire confidence de sa douleur ?

Le Chevalier.

Jé vous assure qu’il était riant, et qué la paix régnait dans son cœur.