Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui l’annonce et en est comme la menace ou la promesse. C’est dans ce crépuscule du cœur que se plaît Marivaux et qu’il laisse ses personnages s’attarder, tourner sur eux-mêmes, se chercher, et de telle manière qu’ils ne semblent jamais pressés de se trouver. Et aussi bien quand ils ont pris conscience d’eux-mêmes, la pièce, le plus souvent, est finie. Ce qui est pour d’autres le point de départ est pour Marivaux le point d’arrivée.

Les amants dans ce théâtre ne sont jamais séparés par un obstacle matériel et extérieur. Ils le sont par eux-mêmes, par un malentendu qui tient à leur timidité, à leur amour-propre, à leur susceptibilité, à la crainte de se déplaire l’un à l’autre, quelquefois à la jalousie et au dépit. Ils le sont, ce qui est charmant, et ce qui rappelle Corneille, par la crainte d’être indignes l’un de l’autre ou de paraître l’être. Ils le sont enfin par toutes sortes de délicatesses subtiles et l’on est toujours sur le point de leur dire : « Parlez-vous donc tout à fait à cœur ouvert et vous vous entendrez tout de suite. » Et c’est ainsi que l’on pourrait dire que le dénouement est suspendu surtout par le soin et l’émulation qu’ils mettent à le retarder. Ils finissent avec le temps par se démasquer, par se découvrir, par se connaître l’un l’autre, et du moment qu’ils se connaissent ils s’aiment pleinement, ce qui est le contraire de ce qu’on voit arriver à l’ordinaire, mais