Page:Marivaux - Théâtre, vol. II.djvu/431

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Madame Argante.

Je n’en suis point surprise. Je te l’ai dit ; il n’y a rien dont ces étourdis-là ne soient capables ; et je suis persuadée que tu en as plus frémi que moi.

Angélique.

J’en ai tremblé, il est vrai ; j’ai pourtant eu la faiblesse de lui pardonner, pourvu qu’il ne m’en parle plus.

Madame Argante.

N’importe ; je m’en fie à tes réflexions ; elles te donneront bien du mépris pour lui.

Angélique.

Eh ! voilà encore ce qui m’afflige dans l’aveu que je vous fais ; c’est que vous allez le mépriser vous-même. Il est perdu ; vous n’étiez déjà que trop prévenue contre lui ; et cependant il n’est point si méprisable. Permettez que je le justifie : je suis peut-être prévenue moi-même ; mais vous m’aimez, daignez m’entendre, portez vos bontés jusque-là. Vous croyez que c’est un jeune homme sans caractère, qui a plus de vanité que d’amour, qui ne cherche qu’à me séduire, et ce n’est point cela, je vous assure. Il a tort de m’avoir proposé ce que je vous ai dit ; mais il faut regarder que c’est le tort d’un homme au désespoir, que j’ai vu fondre en larmes quand j’ai paru irritée ; d’un homme à qui la crainte de me perdre a tourné la tête. Il n’a point de bien, il ne s’en est point caché, il me l’a dit. Il ne lui restait donc point d’autre ressource que celle dont je vous parle ; ressource que je condamne comme vous, mais qu’il ne m’a proposée que dans la seule vue d’être à moi. C’est tout ce qu’il y a compris ; car il m’adore, on n’en peut douter.