Page:Marmette - François de Bienville, scènes de la vie canadienne au 17è siècle, 1870.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
FRANÇOIS DE BIENVILLE.

vapeurs d’un broc de bière et d’une lourde pipe culottée.

Un torrent qui mugit, bouillonne, s’enfuit et se perd dans la nuit, entre la déchirure de lourds quartiers de roc ; un homme assez hardi pour affronter la mort certaine, si le faible appui que tiennent ses doigts crispés vient à se rompre sous le poids de son corps. Et pour éclairer ce bizarre tableau, la lueur vacillante d’un feu, qui vient tomber en plein sur le sauvage et fait étinceler comme autant de diamants les gouttelettes d’eau qui jaillissent sur les parois humides du rocher de la rive nord.

Lentement l’Iroquois descendit, et lorsqu’enfin sa main gauche fut au niveau de la rivière, il cueillit dans sa coupe d’étain la crête d’une vague écumeuse qui, en grondant, s’éleva jusqu’à lui. Et retenant entre ses dents la coupe ainsi remplie, il s’aida des deux mains pour remonter.

Lorsqu’il eut repris pied sur le sol, il revint vers le feu sur lequel il plaça la chaudière de cuivre, après y avoir glissé toutefois, pour y tenir compagnie aux trois crapauds, à la couleuvre et aux herbes vénéneuses, l’eau de sa coupe et les balles mâchées. Enfin le superstitieux sauvage fit trois fois le tour du feu, et revint trois fois sur ses pas en murmurant ces paroles :

— Ô toi ! dieu du mal, mauvais génie, sois propice à cette opération. Fais que le poison dont mes projectiles vont s’imprégner porte à mes ennemis une mort atroce, quand même la balle de mon mousquet les frapperait ailleurs qu’au siège de la vie. Et vous, plantes, mêlez votre suc mortel avec le venin du crapaud et la bave visqueuse de la couleuvre.

Un miaulement sinistre partit alors de la cime