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Page:Marmette - François de Bienville, scènes de la vie canadienne au 17è siècle, 1870.djvu/58

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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

— Tiens ! c’est vous, monsieur Boisdon ; entrez, entrez. Asseyez-vous, monsieur Boisdon. Voyons ! toi, fit-il, en rudoyant un aide qui tournait la broche à la sueur de son visage, allons ! donne ta chaise à monsieur Boisdon.

Le lecteur trouvera peut-être drôle l’obséquieuse politesse de maître Olivier Saucier, cuisinier en chef du gouverneur, à l’égard de l’hôtelier. Mais si j’ajoute qu’il devait dix écus à l’aubergiste pour quelques mesures de vin dégusté au comptoir du dernier, alors on n’y verra rien qui ne soit naturel.

Boisdon qui, malgré sa grande dévotion pour l’argent comptant, avait le sens commun des avares, l’esprit de calcul, prenait bien garde de se brouiller avec Saucier au sujet de l’argent dont celui-ci lui était redevable. Car les bonnes grâces du cuisinier lui valaient de fort jolis profits au château. Aussi ne lui parlait-il qu’indirectement de sa dette, et lui montrait-il un visage toujours riant. Bien entendu que de son côté, Olivier Saucier n’avait garde de se fâcher de certaines allusions que Boisdon se permettait quelquefois à l’adresse de son débiteur.

— Et comment va la santé ? père Saucier, fit notre homme en s’asseyant lourdement.

— Assez bonne, comme vous voyez, monsieur Boisdon ; et la vôtre ?

— Pas mauvaise ;

— Le vin se vend bien, je suppose ?

— Euh oui,… mais… pas toujours au comptant.

— Ah ! dame, c’est un des inconvénients du métier, repartit sans sourciller maître Olivier Saucier qui ne parut pas avoir compris la méchanceté décochée par son créancier.