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Page:Marmette - L'intendant Bigot, 1872.djvu/15

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les femmes et les enfants se pressent en frissonnant de peur autour du narrateur, impressionné lui-même par le récit de ses sombres légendes.

Les ruines du Château-Bigot sont situées au pied de la montagne de Charlesbourg et à sept ou huit milles de Québec.

Immédiatement après avoir dépassé l’église de Charlesbourg, on laisse le chemin du roi pour s’engager dans une route qui tourne à angle droit et finit par serpenter en plein bois.

Avant d’entrer dans la forêt, le touriste se sent porté à jeter en arrière un dernier coup d’œil sut les côteaux de Charlesbourg et de Beauport, dont les beaux champs de blé semblent rouler des flots d’or sous la brise légère et les chauds rayons du soleil d’août.

L’œil descend ensuite au fond de la vallée pour errer sur la rivière Saint-Charles et en suivre les capricieux méandres jusqu’à l’embouchure par où elle vient verser son tribut dans les eaux du grand fleuve, qui étreint, plus loin, l’île d’Orléans dans ses gigantesques bras.

Le regard s’arrête enfin sur les hauteurs de la ville dont les milliers de toits en ferblanc et les clochers élancés reluisent au soleil et tranchent superbement à l’horizon sur le ciel bleu.

À mesure qu’on entre dans le bois, ce paysage disparaît graduellement derrière les arbres.

L’île d’Orléans, avec les fertiles côteaux de Beauport et de Charlesbourg, sont les premiers à fuir le regard. Quelques pas plus loin, les eaux de la rivière Saint-Charles et du fleuve, qui coulent des ondes dorées sous la lumière du jour, ont aussi disparu.

Enfin, les toits et les clochers resplendissants de la capitale jettent un dernier rayonnement à travers les branchages, et l’on n’a plus bientôt autour de soi que des massifs d’arbres dont la cime verdoyante s’agite avec un doux murmure sous l’immense dôme du ciel.

Après une demi-heure de marche en pleine solitude, on débouche dans une clairière sur un plateau que surmontent trois murs en ruine.

Vous avez devant vous tout ce qui subsiste aujourd’hui du château de Bigot, les deux murs de pignons et celui de refend. Quant au reste de l’édifice : toit, murs de face, poutres et planchers, presque tout s’est effondré sous la pression de l’irrésistible genou du temps.

Je dois à l’obligeance de mon ami, M. Montpetit, la connaissance d’un numéro du Harper’s New Monthly Magazine, de 1859, dans lequel se trouve une esquisse des ruines de Beaumanoir. Ce dessin doit être correct, car il est accompagné de différentes vues des environs et des principaux édifices de Québec, reproduites avec une grande fidélité. Quand l’auteur, touriste américain, visita les ruines de l’Hermitage, les murs de face existaient encore, ce qui laisse constater que la façade était percée de sept ouvertures à chaque étage. La porte d’entrée se trouvait au milieu du rez-de-chaussée entre six fenêtres qui n’avaient rien de gothique, malgré ce qu’en dit M. Amédée Papineau dans sa légende de Caroline. On voit que le maître n’avait demandé aucun effort d’architecture à la construction de cette solide maison bourgeoise, plutôt faite pour le confort que pour le plaisir des yeux.

L’édifice avait cinquante-cinq pieds de long sur trente-cinq de large. Le mur de refend est très-rapproché du côté de l’est, car il n’y a, à droite, que la largeur de deux fenêtres entre lui et le mur de pignon. C’est donc à gauche que se devaient trouver les grands appartements, tels que la salle à dîner, le salon de réception ainsi que les chambres à coucher de l’amphitryon et de ses hôtes.

Comme le dit M. Le Moine dans la première série de ses Maple Leaves, on aperçoit dans la cave une petite porte pratiquée dans le mur de l’ouest ; elle communique avec une voûte en maçonnerie qui servait, sans doute, de fondation à la tour mentionnée par M. Papineau, lequel dut visiter Beaumanoir en 1831.

Avant d’arriver aux ruines, il a fallu traverser un ruisseau qui se traîne en babillant sur des cailloux.

En arrière de l’habitation abandonnée s’élève la montagne de Charlesbourg, de laquelle on a, paraît-il, une vue splendide de Québec et de ses environs.

Quelques lilas, des pruniers, des pommiers et des groseilliers devenus sauvages, témoignent qu’il y eut jadis jardin et verger à Beaumanoir, Mais la forêt primitive a maintenant repris ses droits sur son ancien domaine ; et les allées ombreuses côtoyant autrefois des parterres émaillés de fleurs, ont disparu comme les belles dames et les galants cavaliers qui les foulèrent jadis de leurs pas distraits.

Neuf heures du soir viennent de sonner dans le silencieux manoir de l’intendant.

La lune se lève derrière les grands arbres qui allongent leur ombre mystérieuse sur la pelouse et les fleurs du parterre ; la curieuse semble vouloir jeter un furtif coup d’œil au dedans de la maison, car sa pâle lumière argente les carreaux sombres des fenêtres de la façade.

Mais discrète est sa curiosité ; car, qui saura jamais les mystères qu’elle a surpris quand elle appuyait ainsi son front diaphane sur les croisées du château ?

Le bruit du galop d’un cheval se fait entendre dans l’avenue, pour cesser tout à coup à quelques arpents de l’habitation.

Un homme descend de sa monture, qui halète et fume sous la fraîcheur du soir. Il porte dans ses bras quelque chose qui laisse deviner des formes humaines sous les plis, d’un ample manteau.

Laissant là son cheval, ce personnage quitte l’avenue pour entrer dans le bois.

Après avoir fait une trentaine de pas sur la gauche, il s’arrête, et se baissant vers les racines d’un arbre recouvertes par une touffe d’arbustes, il tire à lui un anneau caché par le feuillage, ce qui fait ouvrir une trappe habilement dissimulée sous le gazon.

Cette trappe laisse béante une ouverture profonde de plusieurs pieds.

Quelques marches, taillées dans le roc, s’enfoncent dans un long souterrain creusé dans la direction du château.

L’homme descendit ces degrés et referma