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lac et à Lavigueur lorsqu’ils atteignirent terre près des chantiers, vu qu’on les prit pour des ennemis.

Lorsqu’ils eurent été reconnus, Raoul écarta de son bras gauche le cercle de curieux qui l’entouraient, et prit, suivi de Jean, sa course dans la direction du parc.

Mais ils furent arrêtés, au bas de la rue Saint-Nicolas, pas une voiture qui barrait le chemin, parce que le cocher ne pouvait donner le mot d’ordre aux soldats gardiens de la barricade, qui refusaient de laisser passer le véhicule.

— Cordieu ! c’est le carrosse ! s’écria Raoul. Pour l’amour de Dieu ! cocher, que sont devenues les dames !

Mme Péan est en sûreté, monsieur. M. l’intendant l’a ramenée sur son cheval à la ville.

— L’autre ! l’autre ! mille tonnerres ! cria Raoul avec Angoisse.

— L’autre ! monsieur ; ah ! c’est différent. Comme je m’étais jeté à plat-ventre sur la boîte de la voiture, afin d’éviter les coups, j’ai vu un anglais l’emporter en courant.

— Damnation ! l’avoir retrouvée pour la perdre aussitôt ! Ô mon Dieu ! vous me haïssez donc !

Et Raoul s’affaissa sur la terre en se tordant les bras.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
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SECONDE PARTIE.



TRAÎTRES ET BRAVES.


CHAPITRE PREMIER.

scènes de nuit.


On se souvient que les troupes anglaises étaient débarquées en grande partie au « Bout-de-l’Île » d’Orléans, le vingt-sept juin.

Le lendemain, les Français lancèrent sept brûlots contre la flotte ennemie groupée sous l’île. Mais on y mit le feu trop tôt. Arrêtés à temps par les Anglais et remorqués loin de la flotte, ces brûlots, sur lesquels on avait d’abord beaucoup compté, se consumèrent tranquillement près du rivage de l’île d’Orléans.[1]

Trois matelots, dont l’histoire aurait dû nous conserver les noms, formèrent ensuite l’audacieux projet d’aller brûler le vaisseau amiral. Par une nuit noire, ils s’embarquèrent sur un canot préparé à cet effet, et parvinrent, après avoir mis en défaut la surveillance des sentinelles anglaises et s’être glissés inaperçus entre les nombreux bâtiments de la flotte, à s’accrocher au vaisseau de l’amiral. Mais la fatalité se servit du vent ; pour éteindre leurs mèches qu’ils ne purent jamais rallumer.

Malgré ces premiers échecs à notre résistance, Wolfe ne gagnait guère de terrain.

Placé, d’un côté, en face de la ville qui ne présentait à ses attaques qu’un roc escarpé couronné de bouches à feu, arrêté à droite par la longue et formidable ligne du camp de Beauport, le général anglais, ne voyant aucune prise pour saisir au corps son ennemi, pensa qu’il lui fallait alors recourir aux moyens détournés et violents.

Dans le but de forcer les Canadiens à se débander pour aller protéger leurs propriétés, il fit, d’abord, débarquer une partie de son monde à la Pointe-Lévi, avec des pièces de siège afin de procéder au bombardement de la capitale. Puis il lança divers détachements en campagne avec ordre de ravager tous les établissements de l’île et des deux rives du fleuve en bas de Québec.

Ces instructions furent d’autant mieux exécutées qu’il ne restait dans nos campagnes que des vieillards, des femmes et des enfants pour faire face aux Anglais.

Ces braves soldats observèrent la consigne avec une ponctualité toute britannique. Ils ne laissèrent partout derrière eux que cendres et ruines. Après avoir coupé les arbres fruitiers, ils brûlaient, avec les granges et les habitations, les grains qu’ils ne pouvaient emporter ; quant aux bestiaux, les maraudeurs les traînaient à leur suite ainsi que les femmes dont ils se pouvaient saisir.

C’est ainsi que dans l’espace de plus de vingt lieues, les paroisses situées sur la rive droite et au-dessous de Québec, jusqu’à la Rivière-Ouelle, furent incendiées et dévastées. La Pointe-Lévi, Saint-Nicolas, Sainte-Croix et bien d’autres paroisses subirent un pareil sort, de même que l’île d’Orléans, la baie Saint-Paul, la Malbaie et Saint-Joachim.[2]

Mais les Canadiens, qui avaient fait d’avance le sacrifice de tout ce qui leur était cher, restant fidèlement à leur poste, Wolfe fit passer, le 9 juillet, de l’île d’Orléans à l’Ange-Gardien[3] où il établit son quartier général, le

  1. En louant le courage et le sang-froid déployés par les marins anglais qui remorquèrent le plus formidable de ces brûlots loin de leur flotte, Knox met le bon mot qui suit dans la bouche de l’un de ces braves matelots : Dam-me, Jack did’st thee ever take hell in tow before ? Journal de John Knox. I vol. p. 350.
  2. « We burned and destroyed upwards of 1400 fine farm bouses, for we, during the siege, were masters of a great part of their country ; so that it is thought it will take them half a century to recover the damage. » A journal of the expedition up the river St. Lawrence, &c., publié dans le New-York Mercury du 31 Décembre 1759. M. Garneau. Hist. du Canada.
  3. Un assez fort détachement anglais restait cependant sur l’île pour garder la batterie, les magasins et l’hôpital que l’ennemi y avait établis. Voyez le journal de Knox. I vol., pages, 317 et 321.