revenir ensuite à la charge, se rallient en plusieurs endroits à la faveur de petits bois. Avec cette habileté de tir, devenue proverbiale, ils entretiennent un feu de tirailleurs si bien nourri, qu’ils forcent à reculer plusieurs corps détachés de l’armée anglaise. Mais enfin, écrasés à leur tour, il leur faut plier sous le nombre et battre en retraite.
M. de Vaudreuil et ses officiers, Beaulac et Lavigueur, tous sont entraînés par le courant dans la vallée.
— Monsieur le gouverneur ! crie Raoul au marquis de Vaudreuil découragé, tâchez de rallier le plus grand nombre d’hommes qu’il vous sera possible. Pendant ce temps, je vais remonter le côteau avec quelques gens dévoués pour arrêter un peu l’ennemi en vous attendant.
Se levant sur ses étriers :
— Frères, crie-t-il aux Canadiens en montrant les hauteurs avec son épée ensanglantée, allons venger Montcalm et les nôtres !
Son enthousiasme gagne ceux qui l’entourent. Deux cents braves enfants du sol remontent avec lui le côteau Sainte-Geneviève et tombent avec une incroyable furie sur l’aile gauche ennemie qui reprenait haleine.
— En avant ! en avant ! criait Raoul.
Ah ! qu’il était beau, le jeune chevalier !
Sa noble tête nue, les cheveux au vent, l’œil en feu, le sourire de la vengeance aux lèvres, il lançait son cheval au beau milieu des rangs épais des montagnards. Le noble animal, sans craindre les baïonnettes, y entrait à coups de poitrail. Raoul se baissait, trouait deux ou trois poitrines anglaises avec la pointe de son épée, puis faisait se cabrer son cheval dont les sabots ferrés en se rabattant sur le sol broyaient les crânes qu’ils rencontraient ; de sorte qu’il y avait place nette autour du jeune homme.
Surpris par cette attaque brusque et irrésistible, les trois cents montagnards, isolés et séparés des leurs, commencent à reculer à leur tour.
— En avant, les gars ! crie Raoul, dont l’arme infatigable plonge et remonte toujours de plus en plus sanglante.
— Tue ! tue ! hurle Lavigueur enivré de tumulte et de sang.
Rien ne résiste à cette poignée de braves.
Enfin, les montagnards écossais lâchent pied.
— Ils fuient ! ils fuient ! s’exclame Beaulac.
Mais au même instant, des cris étrangers retentissent, puis un bruit de pas cadencés sur la plaine fumante. Ce sont deux régiments anglais qui accourent à l’aide des montagnards.
— Frères ! dit Beaulac en regardant les siens, c’est ici qu’il faut mourir !
Et le noble jeune homme, suivi de ces braves maintenant fort décimés, retombe comme une trombe sur les montagnards qui reculent encore.
Les deux régiments anglais s’approchent au pas de course. Ils font halte, l’arme à l’épaule.
Un cri part, puis un ouragan de flamme et de plomb éclate en bondissant de la gueule de leurs milliers de mousquets, hurle et passe sur les Canadiens dont les rangs sont horriblement troués. Raoul n’est pas touché ; mais avant de tomber, il veut au moins tuer encore, et murmurant une dernière fois le nom de Berthe, il guide son cheval sur les masses anglaises.
Une autre décharge tonne. Le cheval de Raoul fait un dernier bond et s’abat.
Quand la fumée s’est dissipée, les Anglais voient Beaulac se débattre en s’efforçant de tirer sa jambe droite prise sous sa monture. Vingt d’entre eux courent sur lui en criant : hourrah !
Beaulac casse la tête du premier qui arrive d’un coup de pistolet et menace les autres de son épée. Mais c’en est fait de lui. Il est seul contre une armée.
Les Anglais font cercle autour de lui et le somment de se rendre.
— Jamais ! crie Raoul qui, par une violente secousse, se dégage, se redresse sur pied, pâle, les dents serrées, les lèvres frangées d’écume.
Dans un moment de sublime folie, il prend son élan pour se jeter sur le cercle terrible qui l’environne.
Mais au même instant, arrive un cheval qui décrit une grande courbe en l’air et tombe en hennissant au milieu des Anglais dont quatre, ou cinq roulent meurtris sur le sol.
Tandis que les ennemis étonnés hésitent, Lavigueur, qui monte le vaillant coursier, se penche sur le cou de son cheval, empoigne Raoul par la ceinture, le soulève comme un enfant et le jette en travers de sa selle. Puis enlevant à grands coups d’éperons sa monture qui renverse trois montagnards, il revient vers la ville au triple galop.
Des clameurs de rage et des coups de feu partent derrière les fugitifs, qui répondent au sifflement des balles par des cris de défi.
Des deux cents héros qui avaient remonté le côteau une demi-heure auparavant, ils étaient à peu près les seuls survivants à ce conflit suprême.[1]
La bataille était finie et perdue pour nous.
Elle nous coûtait près de deux mille hommes dont deux cent cinquante prisonniers, blessés pour la plupart. Trois officiers généraux, Montcalm qui expira le lendemain, le chef de brigade Sénesergues ainsi que M. de Saint-Ours, lesquels moururent des suites de leurs blessures.
Les pertes des Anglais s’élevaient à presque sept cents hommes, parmi lesquels le général en chef Wolfe, qui rendit le dernier soupir au milieu du combat, et ses principaux officiers. Ce qui prouve que la défense des nôtres fut vigoureuse.
La trop grande précipitation de Montcalm causa notre ruine. Il devait d’abord attendre
- ↑ « L’armée française fuyait ; deux cents braves
Canadiens se rallièrent dans la vallée, remontèrent
sur le côteau ; comme des lions ils se jetèrent
sur l’aile gauche de l’armée anglaise avec une fureur
incroyable, arrêtèrent un moment les Anglais,
permirent aux soldats de s’arrêter, et, enfin, après
avoir été eux-mêmes repoussés, disputèrent le terrain
pied par pied, depuis le sommet du côteau
jusque dans la vallée. Ces braves gens furent
presque tous tués, mais sauvèrent la vie à une
grande partie de l’armée française. Quelques-uns
se jetèrent dans la ville. » M. Ferland.
« Trois cents montagnards écossais qui revenaient de la poursuite, dit M. Garneau, furent attaqués par eux sur le côteau de Sainte-Geneviève, et obligés de reculer jusqu’à ce qu’ils eussent été dégagés par deux régiments qu’on envoya à leur secours. »