Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/50

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en lui tournant le dos. En arrière et au devant d’eux, huit Sauvages, à demi-nus, les escortaient de leur surveillance active et de leur incessante cruauté. Puis les grands arbres de la forêt, dont les feuilles mortes et à demi tombées jonchaient la terre, défilaient longtemps, bien longtemps, à droite et à gauche sur les bords du sentier.

Voici pourtant un souvenir qu’il conserva vivace jusqu’à la mort, et qui jetait comme un gai rayon de soleil sur cette nuit sombre de son passé.

Après plusieurs journées de marche, des Sauvages inconnus étaient venus au-devant de la caravane en poussant de grands cris qui avaient tiré Mornac de l’espèce d’abrutissement où la fatigue et la souffrance le tenaient plongé. Ces nouveaux venus avaient accompagné quelque temps les prisonniers en poussant des hurlements féroces et les regardant avec des yeux terribles de menaces, lorsque tous débouchèrent de la forêt dans une clairière au centre de laquelle on apercevait, à distance sur les bords de la rivière Mohawk qui se jette dans l’Hudson, une grande bourgade iroquoise.

Ce village formait un long parallélogramme entouré de palissades, et de chaque côté duquel s’étendait une rangée de cabanes.

Griffe-d’Ours fit arrêter la petite troupe, donna l’ordre à Mornac et à Vilarme de déposer le brancard à terre et leur dit avec un cruel sourire :

— Avant que mes frères blancs soient brûlés, ce qui ne tardera guère, nous voulons, comme c’est notre coutume lorsque nous amenons des prisonniers à nos villages, vous donner le plaisir de bien vous sentir vivre encore une fois. Nos frères de la bourgade sont avertis de notre arrivée triomphante. Les voici qui sortent du village et qui s’avancent à notre rencontre. Ils vont se ranger sur deux lignes qui viendront finir ici. Les faces pâles entreront ainsi glorieusement dans Agnier entre deux rangs de guerriers. Seulement chacun de nous est armé d’un bâton, et mieux les hommes pâles pourront courir, moins ils recevront de coups.

On voyait s’avancer en effet toute la population de la bourgade, hommes, femmes, enfants, vieillards, tous jetant des hurlements qui faisaient trembler la forêt.

— Ah ! ce sont là vos usages, messieurs les Iroquois ! pensa Mornac. Eh bien ! sang de dious ! nous allons voir si le dernier des Mornac se laissera rosser impunément de la sorte !

Dans un clin d’œil, une double haie s’était formée sur une longueur de trois ou quatre arpents, et les Iroquois lançaient des cris d’impatience et demandaient qu’on leur livrât les prisonniers.

Deux des Sauvages de l’escorte étaient restés derrière les captifs pour les pousser l’un après l’autre entre les deux formidables rangées d’hommes.

Mornac était le plus jeune et le plus alerte des deux. Aussi fut-il gardé pour la fin, pour la bonne bouche, comme on dit, et l’on poussa de force Vilarme dans le terrible entonnoir. À peine y fut-il entré que les coups commencèrent à pleuvoir, de droite et de gauche, comme grêle sur tout le corps du misérable. On ne voyait qu’une nuée de bâtons qui s’élevaient, s’abaissaient, tournoyaient et tombaient, et, au milieu des deux haies grouillantes et hurlantes, Vilarme qui courait à toutes jambes. Une fois il s’abattit sur le sol : une vieille femme qui n’avait pas la force de lever son bâton, lui en avait barré les jambes. Le malheureux fut tellement roué de coups que la douleur lui rendit la force de se relever aussitôt et de s’enfuir vers l’entrée du village où Mornac le vit disparaître au milieu d’un nuage de pierres.

Sans attendre qu’on l’invitât poliment à entrer dans ce gouffre, Mornac bondit en avant.

Griffe-d’Ours qui n’avait pas voulu se priver de ce charmant plaisir de la réception, se tenait le premier sur les rangs. Tout entier au bonheur de voir maltraiter Vilarme, le Sauvage se penchait en avant pour regarder plus loin, lorsque Mornac tomba sur lui comme une trombe, lui arracha son bâton, et d’un coup de poing envoya rouler l’Iroquois à trois pas. Puis, brandissant ce gourdin en homme qui connaît toutes les ressources de l’escrime, le chevalier assomma deux autres Sauvages en un tour de main, rompit l’une des deux lignes et, rapide comme l’ouragan, prit en dehors de la haie vivante sa course dans la direction du village.

Il avait bien songé d’abord à s’enfuir vers les bois. Mais la pensée de laisser sa cousine à la merci des barbares l’avait retenu.

— Après tout, s’était-il dit avec cette confiance inébranlable que tout Gascon place en sa bonne étoile, qui sait si je ne me tirerai point d’affaire, une fois rendu sain et sauf dans le giron de cette aimable populace ?

Le brouhaha était indescriptible. Les deux haies s’étaient rompues et chacun courait sus à Mornac.

Mais celui-ci doué de la plus belle paire de jambes qui aient arpenté les terres de Gascogne, courait plus vite qu’aucun des poursuivants. Ses pieds touchaient à peine au sol. Il volait.

Lorsqu’on le serrait de trop près, le terrible bâton dont il était armé tournoyait en sifflant, et le vide se faisait aussitôt devant lui.

Les hommes se bousculaient, culbutaient et criaient, tandis que les enfants et les femmes lançaient des pierres au fugitif qui les esquivait presque toutes.

— Quel dommage que je n’aie pas le temps de m’arrêter pour rire, se disait-il. Ça doit être drôle !

En quelques secondes, il arriva sans encombre à la porte des palissades qui entouraient le village et qu’il franchit sain et sauf, grâce au merveilleux moulinet de son gourdin. Il courut toujours devant lui dans l’espèce de rue qui séparait les deux rangées de cabanes, jusqu’à ce qu’il fût arrivé au milieu de la bourgade, où il aperçut un échafaud qui s’élevait à six pieds au-dessus du sol.

Il prit son élan et sauta dessus.

Là, dominant la foule rugissante qui s’était engouffrée sur ses pas dans le village, il passa sous le bras gauche le bâton qui lui avait si