toutes les autres, l’empreinte légère du petit pied de Jeanne.
Il s’agenouilla sur la grève et embrassa cette trace en la mouillant de ses larmes.
— Pardonnez-moi, dit-il ensuite à Joncas en se relevant, mais c’est tout ce qui me reste d’elle !
— À votre âge j’en aurais fait autant.
— Lorsque Fleur-d’Étoile courait, jeune fille, sur les bords du grand lac, le Renard-Noir baisait la tige des fleurs qu’elle avait courbées sur son passage ; et le chef indien n’en rougissait point de honte, repartit le Huron qui jeta un regard plein de bonté sur Louis Jolliet.
Les trois hommes s’embarquèrent dans le canot et gagnèrent les deux embarcations ancrées à quelques arpents de la rive. Puis ils continuèrent leur course, Jolliet guidant les deux embarcations à voiles, tandis que le Renard-Noir et Joncas rasaient avec la pirogue tantôt la rive sud, tantôt le bord des îles qui dorment au fil de l’eau en remontant jusqu’à la capitale.
Ce fut ainsi qu’ils trouvèrent sur l’île Madame les restes à demi consumés du pauvre Jean Couture qu’ils emportèrent avec eux pour les déposer en terre sainte.
Les pistes laissées sur le sable de la petite anse où les Iroquois s’étaient rembarqués montraient clairement qu’ils avaient continué de remonter le fleuve. Toutes étaient tournées vers le haut de la rivière.
— Vous voyez que je ne m’étais pas trompé, dit Joncas à Jolliet. Ils n’ont sacrifié que ce pauvre Jean Couture et sont repartis pour leur pays avec les autres. Ayez bon espoir, monsieur Louis. Nous les rejoindrons avant longtemps.
Nos voyageurs arrivèrent à la ville au milieu de la nuit suivante.
L’émoi fut grand dans la capitale quand on connut le triste événement ; et M. de Mésy qui apprit la détermination de Jolliet et de ses deux compagnons à se rendre au pays des Iroquois, les fit mander tous trois en son château Saint-Louis, et leur offrit quelques soldats pour les accompagner.
Joncas refusa en disant :
— Vous ne sauriez, monseigneur, nous donner une troupe assez considérable pour aller attaquer ouvertement les Iroquois dans leurs villages. Les quelques hommes que vous nous offrez nous nuiraient plutôt que de nous aider. C’est de la ruse seule, ou à peu près, dont nous allons nous servir pour délivrer nos gens. À ce compte-là, le chef huron, M. Jolliet et moi réussirons mieux tout seuls. Notre petit nombre nous permettra de nous tenir cachés dans les environs des bourgades iroquoises et attirera moins l’attention. Nous vous remercions donc, monseigneur, de votre bonne offre à laquelle nous sommes pourtant fort sensibles.
Au besoin, Joncas, qui avait fait tous les métiers, savait assez bien tourner une phrase.
Le moment du départ arrivé, Mme Guillot se pendit au cou de son fils en pleurant.
— Mère chérie, lui dit Jolliet pour l’apaiser, croyez bien que j’en suis désolé non moins que vous, mais il le faut pourtant. Ne l’aimerais-je pas que ce serait encore un devoir pour moi d’aller sauver de l’ignominie celle que vous avez recueillie sous votre toit, et à laquelle vous avez servi de mère pendant plusieurs années. Je suis un homme maintenant, et je dois secourir mes semblables au péril de ma vie.
— Oui, dit Mme Guillot en souriant au milieu de ses pleurs, tu es en effet devenu un homme ; je ne m’en aperçois que trop, hélas ! au changement de ton affection filiale en un autre sentiment dont je ne me puis empêcher d’être jalouse.
— Que voulez-vous, ma mère ? Outre que je ne saurais me défendre de suivre les lois de la nature, je ne fais qu’obéir à celles de Dieu lui-même. N’a-t-il pas dit quelque part : « L’homme quittera son père et sa mère pour suivre…… »
— Sa compagne. Oui, mon fils. Mais elle ne l’est pas.
— Elle le sera peut-être un jour.
— Si elle ne t’aimait pas et méprisait tes avances.
— Ô mère ! ne dites point cela. Je me tuerais !
— Louis !
— Pardon ! mère, oh ! mille fois pardon ! Mais bénissez-moi, plutôt que de me pousser à proférer des paroles aussi condamnables et priez Dieu de me ramener bientôt dans vos bras avec celle que j’aime et que vous aurez peut-être avant longtemps une double raison d’appeler votre fille.
Mme Guillot étendit ses mains tremblantes sur le front de son fils et lui dit :
— Tu es un noble cœur et, après tout je n’en suis que plus fière de te voir ainsi. Va, que Dieu t’accompagne et protège ton retour.
Jolliet la serra une dernière fois dans ses bras et s’élança au dehors où Joncas et le Renard-Noir l’attendaient.
Je ne m’arrêterai pas à raconter tous les incidents qui signalèrent leur voyage.
Grâce à l’habileté de l’ancien coureur des bois et du chef huron, il leur fut bientôt facile de retracer la marche du parti de Griffe-d’Ours. Ils campèrent aux mêmes endroits où les Iroquois s’étaient arrêtés et purent constater, par diverses observations dues à leur perspicacité, que leurs amis étaient vivants.
À chacune de ces précieuses découvertes le cœur de ce pauvre Jolliet bondissait de joie, et sa pensée réjouie courait d’avance au devant de celle qui, sans le savoir, avait emporté la meilleure partie de cette âme ardente de jeune homme.
Un accident imprévu vint pourtant le replonger bientôt dans un affreux découragement.
En faisant le portage nécessité par les rapides auxquels on donna plus tard le nom de M. de Chambly, Jolliet qui était chargé ainsi que ses deux compagnons, perdit pied sur une roche humide et tomba en se donnant une forte entorse. Quand il voulut se relever, la douleur le fit chanceler de nouveau, et, malgré les efforts les plus héroïques, il lui fut impossible de marcher plus loin.
— Je vous en supplie, mes amis, dit-il alors à ses compagnons, laissez-moi seul ici, et allez les sauver ! Vous me reprendrez en revenant.