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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/92

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groupe à part, se tenaient plusieurs de nos connaissances que le lecteur sera sans doute fort aise de trouver saines et sauves à Québec.

D’abord, au premier rang étaient Mme Guillot et son fils, Louis Jolliet ainsi que Mlle de Richecourt, appuyée sur le bras de son cousin, le chevalier de Mornac ; derrière eux se tenaient Joncas avec son ami le Renard-Noir, et maître Jacques Boisdon, le propriétaire de l’auberge du Baril-d’Or. Il hébergeait en ce moment Mornac avec Joncas et le Huron, arrivés de Montréal depuis une quinzaine de jours.

— J’aimerais mieux, disait Mornac à sa cousine, la voix mâle du canon que le caquetage de ces cloches !

— Pourquoi ne tire-t-on pas l’artillerie ? demanda Jeanne.

— Il paraît que Monseigneur le Vice-Roy, par un excès de modestie, assez rare par ma foi chez les militaires, a su qu’on se préparait à lui faire une réception magnifique et a refusé tous ces honneurs. Mais voici le cortège qui s’approche.

On entendit le bruit des acclamations qui montaient et gagnaient de plus en plus la rue de l’église, à mesure que Monseigneur et sa suite avançaient.

Tout à coup, tournant l’angle de la demeure de l’évêque, apparurent vingt-quatre gardes à cheval.

Pour honorer son représentant, Louis XIV avait voulu que les gardes de M. de Tracy portassent les couleurs royales.

Aussi était-ce merveille que de voir l’or et l’argent ruisseler sur leurs riches uniformes de velours et de satin.

Quant aux chevaux, splendidement caparaçonnés, joyeux de se sentir enfin libres sur la terre ferme après une longue traversée, ils s’en venaient piaffant avec ardeur et grâce, et rongeant impatiemment le mors dont ils tachetaient, sans souci, l’or et l’argent massifs.

Après les fiers vingt-quatre gardes, venaient quatre pages non moins richement vêtus que les premiers.

Enfin, suivi de ses laquais, apparut le Vice-Roi lui-même. C’était un beau vieillard à l’air martial et imposant. Le poing droit appuyé sur la hanche, à la royale, le panache blanc de son large chapeau tout galonné d’or effleurant son épaule, il contenait de sa main gauche son nerveux coursier et s’avançait en saluant les colons qui l’acclamaient à l’envi.

À côté de lui se tenait M. le chevalier de Chaumont, son ami et protégé, qui fut plus tard ambassadeur de France à Siam.

Le resplendissant soleil de juin, qui tombait en plein sur toutes les splendeurs du cortège et sur le brillant acier des armes des soldats de Carignan, faisait jaillir mille gerbes de lumière qui scintillaient comme un foyer de flamme dans tout le parcours de la rue de l’église.

— Sapreminette ! s’écria la voix grasse de Jacques Boisdon, sapreminette, que c’est beau !

En ce moment, M. le bedeau qui venait de passer la corde de la cloche à un aide, lequel sonnait à son tour à force de reins et de bras, laissa voir sa figure béate entre les deux battants de la porte de l’église. Il l’ouvrit toute grande et l’on put apercevoir Monseigneur de Laval vêtu pontificalement et accompagné de son clergé. Arrivés près du seuil, tous s’arrêtèrent et attendirent gravement l’arrivée du Vice-Roi.

Celui-ci, aidé de M. de Chaumont qui s’était empressé de descendre de cheval, mit pied à terre en face du portail. Il mit bas son chapeau de feutre dont la longue plume traînait par terre et entra, tête nue, dans l’église.

L’évêque le salua avec grande dignité, lui présenta de l’eau bénite et le mena proche du chœur à la place qu’on avait préparée sur un prie-Dieu.

Mais, disent les relations du temps, M. de Tracy, quoique malade et affaibli de fièvre, se mit à genoux sur le pavé sans vouloir même se servir du carreau qui lui était offert.

Les grandes voix de l’orgue éclatèrent alors et se mirent à se rouler amoureusement sous les arceaux de la voûte en mêlant leur harmonie au chant solennel du Te Deum.

Lorsqu’il fallut sortir de l’église, Monsieur l’évêque vint reprendre Monseigneur de Tracy et le reconduisit, au milieu de la foule qui avait encombré l’église à la suite du cortège, jusqu’à la porte, dans le même ordre et avec les mêmes honneurs qui l’avaient reçu en entrant.[1]

Toujours au son des cloches et au bruit des vivats de la population, le Vice-Roi remonta à cheval et se dirigea vers le château Saint-Louis.

M. de Mésy, le gouverneur, n’était plus là pour l’y recevoir, étant mort quelques semaines auparavant, le septième jour de mai.

Son humilité et sa charité pour les pauvres lui avaient fait demander d’être enterré avec eux dans le cimetière de l’Hôtel-Dieu. On avait fait élever sur sa fosse une grande croix qu’on y voyait encore au temps où la Mère Juchereau de St. Ignace écrivait son Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, c’est-à-dire vers 1716.

Du moins le vieux capitaine n’avait pas eu à subir l’affront de l’enquête que M. de Courcelles, le nouveau gouverneur qui n’était pas encore arrivé, était chargé de faire contre lui au sujet de ses différends avec le Conseil-Supérieur.

À peine rendu au château du Fort, M. de Tracy dut recevoir la députation des notables de la ville, ainsi que celles des Hurons et des Algonquins qui se montrèrent des plus empressés à lui faire leur cour.

Ces derniers accompagnèrent leurs compliments de présents à leur manière. M. de Tracy prit beaucoup de plaisir à leurs discours. Il leur répondit fort obligeamment par un interprète et leur promit de les secourir et de les protéger contre les Iroquois de tout son pouvoir, dès que les troupes attendues de France seraient toutes arrivées. Mais comme le reste du régiment pouvait tarder à venir, il promit aux Sauvages, nos alliés, de leur donner, sous peu de jours, un certain nombre d’hommes pris dans les huit compagnies déjà

  1. Voir le Journal et les Relations des Jésuites, l’Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, etc.