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sanglant, son corps incrusté de cendres chaudes et de charbons ardents qui sifflaient au contact des flots de sang que l’on voyait ruisseler sur tout son être, se traîner dans les flammes et cracher une dernière insulte sur ses bourreaux interdits.

C’était épouvantable.[1]

Un coup de feu partit du fort. Une balle siffla au milieu des Sauvages et s’en alla fracasser la tête de Griffe-d’Ours qui, cette fois, retomba sans vie.

Surexcité par cette scène affreusement émouvante, le Renard-Noir s’était levé debout.

Quand le projectile fit éclater la tête du chef iroquois, le Huron s’écria d’une voix tonnante :

– Fleur-d’Étoile, et vous, ô mes enfants ! je puis maintenant vous rejoindre dans le pays des ombres, car vous êtes enfin vengés !

Un flot de sang lui jaillit par la bouche et il tomba roide mort.


ÉPILOGUE

Six ans se sont écoulés, pendant lesquels la situation de la Nouvelle-France a tout à fait changé d’aspect.

À la période d’affaissement que nous avons tâché de décrire en cet ouvrage, succédait une époque de renaissance et de prospérité. La colonie qui n’avait fait que languir auparavant sous la crainte continuelle des Iroquois, avait repris une vie nouvelle aussitôt après l’arrivée du marquis de Tracy et de l’Intendant Talon.

Dans l’automne de l’année qui suivit celle où l’on construisit les forts de Sainte-Thérèse, de Chambly et de Sorel, M. de Tracy qui voulait dompter la superbe des Agniers avait organisé contre eux une grande expédition qu’il tint, malgré son grand âge, à commander en personne. À la tête de six cents soldats, de six cents habitants, de cent sauvages hurons et algonquins et de deux petites pièces de campagne, le vice-roi marcha contre les quatre bourgades d’Agnier. Jamais les Sauvages de l’Amérique du Nord n’avaient vu pareille armée. Aussi balaya-t-elle tout devant soi. Les quatre villages furent emportés, brûlés et rasés, tout le pays environnant dévasté par les troupes, et les provisions de maïs, que ces Sauvages avaient en réserve, jetées dans la rivière Mohawk.

La petite armée qui avait quitté Québec, le 14 septembre (1666), y était de retour au mois de novembre. Elle avait perdu peu de monde. Il paraît que le chevalier de Mornac — il s’était marié avec sa belle parente à la fin de l’année 1665 — se distingua fort dans cette expédition contre Agnier où il avait autrefois souffert tant d’humiliations.

Les Agniers furent frappés de terreur. Ils s’imaginaient sans cesse voir les Français entourer leurs villages. Par suite de la perte totale de leurs provisions, ils se virent réduits à une très grande famine qui fit périr quatre cents personnes. Aussi vinrent-ils supplier M. de Tracy de leur accorder la paix.

Un grand traité fut conclu.

Alors les colons purent s’occuper de la culture de leurs terres, et profiter des avantages que leur offrait un pays abondant en toutes choses et des plus fertiles.

Comme il n’y avait plus rien à craindre des Iroquois, même dans les localités isolées, on vit aussitôt les villages s’élever et s’étendre sur les bords du Saint-Laurent, les forêts tomber et s’éloigner des habitations, les terres plus soigneusement cultivées produire de très abondantes récoltes.

Grâce aux encouragements énergiques de M. Talon, l’agriculture fit de grands progrès. À part les grains ordinaires, on se mit à cultiver le lin et le chanvre avec succès.

Le commerce ne fut pas plus négligé. L’Intendant qui projetait de relier le Canada avec les Antilles, par les relations commerciales, fit construire un bâtiment à Québec, en acheta un autre, et dès 1667, les envoya à la Martinique et à Saint-Domingue avec un chargement de morue, de saumon et d’anguille salés, de pois, d’huiles, de bois merrain et de planches.

La population prit aussi un accroissement rapide, grâce aux colons que le roi de France dirigeait sur le Canada. L’acquisition la plus précieuse que fit la colonie fut celle de quatre compagnies de Carignan qui s’établirent dans le pays, lorsque ce régiment fut rappelé en France. Elles furent choisies parmi celles dont les officiers et les soldats s’étaient mariés avec les filles des colons.

Après avoir fidèlement accompli sa mission, M. de Tracy retourna en France dans l’année 1667, sur le vaisseau de guerre, le Saint-Sébastien, que le roi lui avait envoyé.

Talon qui était passé en Europe en 1669, revint au Canada l’année suivante. Il resta dans le pays jusqu’à l’automne de 1672. Alors il quitta la colonie pour n’y plus revenir, ainsi que le gouverneur, M. de Courcelles, qui était remplacé par le comte de Frontenac, homme des plus énergiques, fort habile, et qui est une des plus belles figures de tous les gouverneurs qui se succédèrent, dans la Nouvelle-France, sous la domination française.

Avant de quitter le Canada, M. Talon avait résolu d’éclaircir le mystère qui enveloppait le grand fleuve de l’ouest, que l’on savait vaguement se jeter dans les mers du sud.

Pour cette découverte Talon avait choisi un homme doué de toutes les qualités nécessaires afin de conduire à bonne fin une entreprise aussi importante.

On se souvient que Louis Jolliet, frappé au cœur dans ses plus chères espérances, s’était brusquement décidé de quitter le monde. Il entra en effet chez les Jésuites, en 1665.

On voit par le Journal des Jésuites, que les premières thèses publiques sur la philosophie furent soutenues avec succès par les sieurs Louis Jolliet et Pierre de Francheville, en présence de Messieurs de Tracy, de Courcelles et Talon. « M. l’Intendant, entre autres y argumenta très bien. »

Dans le silence du cloître, à force d’étude et de macération, Jolliet essaya de tuer en soi le souvenir désespérant d’un amour méconnu.

  1. Cette scène paraît invraisemblable et, pourtant, elle n’est que la reproduction d’un épisode analogue raconté par le Père Jérôme Lalemant.