Page:Marmier - Les Perce-Neige, 1854.djvu/23

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cret étrange, désespérant, qui établit entre nous une barrière infranchissable.

— Cette barrière, murmura Marie, a toujours existé. Je n’aurais jamais pu être votre femme.

— Je sais, reprit à voix basse Vourmin, que vous avez aimé ; mais la mort et trois années de deuil… Chère, bonne Marie, ne m’enlevez pas ma dernière consolation, ne m’enlevez pas le bonheur de croire que vous auriez pu être à moi, sinon…

— Taisez-vous, s’écria Marie, taisez-vous, je vous en conjure, vous me déchirez l’âme.

— Oui, je vous crois ; cette consolante pensée que vous auriez pu être à moi… Mais je suis le plus infortuné des hommes, je suis marié.

Marie leva sur lui un regard stupéfait.

— Je suis marié, reprit le colonel, marié depuis quatre ans, et je ne sais qui est ma femme ni où elle est, ni si je dois jamais la rencontrer.

— Que me dites-vous ! quelle étrange idee ? Continuez… je vous raconterai ensuite ; mais, de grâce, continuez.

— Eh bien, voici le fait : au commencement de l’année 1812. j’allais à Vilna rejoindre mon régiment. J’arrivai un soir assez tard à une station, et je venais de commander qu’on attèle promptement mes chevaux quand tout à coup il s’éleva un violent ouragan. Le maître de poste et le postillon me conseillèrent de