Page:Marmier - Les Perce-Neige, 1854.djvu/35

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témoin. Mes camarades me respectaient, et les commandants du régiment me regardaient comme un inévitable fléau.

Je jouissais ainsi tranquillement ou tristement de ma gloire, lorsqu’il nous arriva un jeune homme appartenant à une famille riche et distinguée, que je ne veux pas nommer. De ma vie je n’ai vu un homme si séduisant. Figurez-vous la jeunesse, l’esprit, la beauté, la plus vive gaieté, la plus franche bravoure, toutes ces qualités réunies à un nom imposant, à une grande fortune, et vous pourrez avoir une idée de l’effet que ce nouvel officier devait produire parmi nous. Devant lui mon étoile pâlissait. Entraîné par ma renommée, il rechercha d’abord mon amitié. Mais je le reçus froidement, et il s’éloigna de moi sans paraître affecté de ma conduite. Je sentis que je le haïssais. Les succès qu’il obtenait au régiment et parmi les femmes de la société me mettaient en fureur. J’essayai de faire naître une querelle entre lui et moi ; mais à mes épigrammes il répondait par d’autres épigrammes plus inattendues, plus piquantes et en tout cas plus gaies que les miennes. Il plaisantait, et moi je m’emportais. Un jour, enfin, à un bal, le voyant l’objet de l’attention de toutes les femmes, et en particulier de la maîtresse de la maison, avec laquelle j’étais lié, je m’approchai de lui et je lui murmurai à l’oreille un grossier propos. il y répondit par un soufflet. Nous tirâmes nos sabres, les femmes s’évanouirent. On nous sépara,