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Page:Marmontel - Mémoires d un père, Didot, 1846.djvu/68

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60 MEMOIRES

intéressez ; et cela est bien naturel. Mon oncle et moi nous avons l’âme compatissante pour tout le monde ; mais nous ne voyons pas souvent des malades faits comme vous. » Le curé revint de régllse. Il exigea de moi de renvoyer mon cheval et mon guide, et voulut prendre sur lui le soin de me faire mener chez moi.

Dans une situation tranquille, je me serais trouvé enchanté dans ce presbytère , comme Renaud dans le palais d’Armide ; car ma naïve Marcelline était une Armide pour moi ; et plus elle était innocente, plus je la trouvais dangereuse. Mais, quoique ma mère dût être détrompée par mes deux lettres, rien ne m’aurait retenu loin d’elle au delà du jour où l’accès de ma fièvre ayant été plus faible , et me sentant un peu remis par deux nuits d’assez bon sommeil , je pus remonter à cheval. Ma sœur (c’était le nom que MarcelUne s’était donné , et que je lui donnais moi-même lorsque nous étions tête à tête) ne me vit pas au moment de partir sans un saisissement de cœur qu’elle ne put dissimuler. ^ Adieu, monsieur l’abbé, me dit-elle devant son oncle ; prenez soin de votre santé ; ne nous oubliez pas, et embrassez bien tendrement pour moi madame votre mère : dites-lui que je l’aime bien. » A ces mots ses yeux se mouillèrent ; et, comme elle se retirait pour nous cacher ses pleurs ; ft Vous voyez, me dit le curé, ce nom de mère l’attendrit ; c’est qu’il n’y a pas longtemps qu’elle a perdu la sienne. Adieu , monsieur ; je vous dis, comme elle, Ne nous oubliez pas. Nous parlerons souvent de vous. »

Je trouvai ma mère pleinement rassurée sur ma conduite ; mais en me voyant elle fut alarmée sur ma santé. Je calmai ses inquiétudes ; et en effet je me sentais bien mieux , grâce au régime auquel le curé m’avait mis. Nous lui écrivîmes Tun et l’autre pour le remercier de ses bontés hospitalières ; et , en lui renvoyant sa jument, sur laquelle j’étais venu , nous accompagnâmes nos lettres de quelques modestes présents , parmi lesquels ma mère glissa pour Marcelline une parure simple et de peu de valeur, mais élégante et de bon goût. Après quoi , ma santé se rétablissant à vue d’œil , nous ne fûmes plus l’un et l’autre occupés que de mes affaires.