Aller au contenu

Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit-il ; j’en suis au désespoir ; je vous en demande pardon. Le besoin de lever de nouvelles recrues m’avoit conduit dans votre ville. J’y ai trouvé quelques jeunes gens, vos camarades de collège, qui avoient envie de s’engager, mais qui délibéroient encore. J’ai vu que, pour les décider, il ne falloit que votre exemple. J’ai succombé à la tentation de leur dire qu’ils vous auroient pour camarade, que je vous avois engagé, et le bruit s’en est répandu. — Ah ! Monsieur, m’écriai-je avec indignation, se peut-il qu’un pareil mensonge soit sorti de la bouche d’un homme tel que vous ! — Accablez-moi, me dit-il, je mérite les reproches les plus honteux ; mais cette ruse, dont je n’ai pas senti la conséquence, m’a fait connoître un naturel de mère comme je n’en ai jamais vu. Allez la consoler ; elle a besoin de vous revoir. »

Le marquis de Linars, à qui son frère avoua sa faute et tout le mal qu’il m’avoit fait, me donna un cheval, un guide, et le lendemain je partis ; mais je partis avec la fièvre, car mon sang s’étoit allumé ; et sur le soir le redoublement me prit dans le moment où, par des chemins de traverse, mon guide m’avoit égaré. Je frissonnois sur mon cheval, et la nuit alloit me gagner dans une heure, en rase campagne, lorsque je vis un homme qui traversoit mon chemin. Je l’appelai pour savoir où j’étois, et s’il y avoit loin de là au village où