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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/310

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chant que l’on vouloit entendre ; et, pour en donner le plaisir, il étoit d’une complaisance dont on étoit charmé autant que de sa voix. Il s’étoit fait une étude de choisir et d’apprendre nos plus jolies chansons, et il les chantoit sur sa guitare avec un goût délicieux ; mais bientôt on oublioit en lui le chanteur, pour jouir des agrémens de l’homme aimable ; et son esprit, son caractère, lui faisoient dans la société autant d’amis qu’il avoit eu d’admirateurs. Il en avoit dans la bourgeoisie, il en avoit dans le plus grand monde ; et, partout simple, doux et modeste, il n’étoit jamais déplacé. Il s’étoit fait, par son talent et par les grâces qu’il lui avoit obtenues, une petite fortune honnête ; et le premier usage qu’il en avoit fait avoit été de mettre sa famille à son aise. Il jouissoit, dans les bureaux et les cabinets des ministres, d’un crédit très considérable, car c’étoit le crédit que donne le plaisir ; et il l’employoit à rendre dans la province où il étoit né des services essentiels. Aussi y étoit-il adoré. Tous les ans il lui étoit permis, en été, d’y faire un voyage, et, de Paris à Pau, sa route étoit connue ; le temps de son passage étoit marqué de ville en ville ; partout des fêtes l’attendoient ; et, à ce propos, je dois dire ce que j’ai su de lui à Toulouse avant mon départ. Il avoit deux amis dans cette ville, à qui jamais personne ne fut préféré : l’un étoit le tailleur chez lequel il