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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/83

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Réconcilié avec moi-même, espérant l’être avec mon père par la sainteté du motif que j’avois à lui présenter, je commençai par me donner un gîte, en louant auprès du collège un cabinet aérien, où, pour meubles, j’avois un lit, une table, une chaise, le tout à dix sous par semaine, n’étant pas en état de faire un plus long bail. J’ajoutai à ces meubles un ustensile d’anachorète, et je fis ma provision de pain, d’eau claire et de pruneaux.

Après m’être établi, et avoir fait le soir chez moi une collation frugale, je me couchai ; je dormis peu, et le lendemain j’écrivis deux lettres : l’une à ma mère, où je lui exposois le refus inhumain que j’avois essuyé de cet inflexible marchand ; l’autre à mon père, où, faisant parler la religion et la nature, je le suppliois avec larmes de ne pas s’opposer à la résolution qui m’étoit inspirée de me consacrer aux autels. Le sentiment que je croyois avoir de cette sainte vocation étoit en effet si sincère, et ma foi aux desseins et aux soins de la Providence étoit si vive alors, que j’énonçai dans ma lettre à mon père l’espérance presque certaine de n’avoir plus dorénavant aucune dépense à lui causer ; et, pour continuer mes études, je ne lui demandois que son consentement et sa bénédiction.

Ma lettre fut un texte pour l’éloquence de ma mère. Elle crut voir ma route tracée par les anges,