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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/87

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qui m’étoit favorable. Le sujet qu’il me proposa ne fut pas moins encourageant : ce furent les regrets et les adieux d’un écolier qui quitte ses parens pour aller au collège. Quoi de plus analogue à ma situation et aux affections de mon âme ? Je me rappellerois encore l’expression que je donnai aux sentimens du fils et de la mère. Ces mots dictés par la nature, et dont l’art n’imite jamais l’éloquente simplicité, furent arrosés de mes larmes, et le préfet s’en aperçut. Mais ce qui l’étonna le plus (parce que la vérité même y ressembloit à l’invention), ce fut l’endroit où, m’élevant au-dessus de moi-même, je fis parler le jeune homme à son père du courage qu’il se sentoit pour devenir un jour, à force d’application et de travail, la consolation, l’appui, l’honneur de sa vieillesse, et rendre à ses autres enfans ce qu’il lui auroit coûté pour son éducation. « Et vous avez étudié chez un curé de campagne ? » s’écria plus fort mon jésuite. Pour cette fois je gardai le silence et ne fis que baisser les yeux. « Et les vers, reprit-il, ce curé de campagne vous a-t-il appris à les faire ? Je répondis que j’en avois quelque notion, mais peu d’usage. « C’est ce que je serai bien aise de savoir, me dit-il avec un sourire. Venez ce soir avant la classe. » Le sujet des vers fut : En quoi la feinte diffère du mensonge ? C’étoit justement une excuse qu’il m’offroit peut-être à dessein.