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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/98

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MÉMOIRES DE MARMONTEL

maison. Je frappe, je me nomme, et dans le moment un murmure plaintif, un mélange de voix gémissantes, se fait entendre. Toute la famille se lève, on vient m’ouvrir, et, en entrant, je suis environné de cette famille éplorée, mère, enfans, vieilles femmes, tous presque nus, échevelés, semblables à des spectres, et me tendant les bras avec des cris qui percent et déchirent mon cœur. Je ne sais quelle force que la nature nous réserve, sans doute, pour le malheur extrême, se déploya tout à coup en moi. Jamais je ne me suis senti si supérieur à moi-même. J’avois à soulever un poids énorme de douleur ; je n’y succombai point. J’ouvris mes bras, mon sein à cette foule de malheureux ; je les y reçus tous ; et, avec l’assurance d’un homme inspiré par le Ciel, sans marquer de foiblesse, sans verser une larme, moi qui pleure facilement « Ma mère, mes frères, mes sœurs, nous éprouvons, leur dis-je, la plus grande des afflictions ; ne nous y laissons point abattre. Mes enfans, vous perdez un père ; vous en retrouvez un ; je vous en servirai ; je le suis, je veux l’être : j’en embrasse tous les devoirs, et vous n’êtes plus orphelins. »

À ces mots, des ruisseaux de larmes, mais des larmes bien moins amères, coulèrent de leurs yeux. « Ah ! s’écria ma mère en me pressant contre son cœur, mon fils ! mon cher enfant ! que