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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/105

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frin, quoique logé chez elle, je n’étois pas l’un des premiers dans sa faveur ; non qu’elle ne me sût bon gré d’égayer à mon tour, et même assez souvent, nos dîners et nos entretiens, ou par de petits contes, ou par des traits de plaisanterie que j’accommodois à son goût ; mais, quant à ma conduite personnelle, je n’avois pas assez la complaisance de la consulter et de suivre les avis qu’elle me donnoit ; et, de son côté, elle n’étoit pas assez sûre de ma sagesse pour n’avoir pas à craindre de ma part quelqu’un de ces chagrins que lui donnoit parfois l’imprudence de ses amis. Ainsi elle étoit avec moi sur un ton de bonté soucieuse et mal assurée ; et moi, en réserve avec elle, je tâchois de lui être agréable ; mais je ne voulois pas me laisser dominer.

Cependant elle me voyoit réussir avec tout son monde ; et, à son dîner du lundi, je n’étois pas moins bien accueilli qu’à son dîner des gens de lettres. Les artistes m’aimoient, parce qu’en même temps curieux et docile, je leur parlois sans cesse de ce qu’ils savoient mieux que moi. J’ai oublié de dire qu’à Versailles, au-dessous de mon logement, étoit la salle des tableaux qui successivement alloient décorer le palais, et qui étoient presque tous de la main des grands maîtres. C’étoit, dans mes délassemens, ma promenade du matin ; j’y passois des heures entières avec le bon-