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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/165

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amies, la belle Mme Gaulard. L’un de ses deux fils[1], homme aimable, occupoit à Bordeaux l’emploi de la recette générale des fermes ; il avoit fait un voyage à Paris ; et, la veille de son départ, l’un des plus beaux jours de l’année, nous dînions ensemble chez notre ami Bouret, en belle et bonne compagnie. La magnificence de cet hôtel que les arts avoient décoré, la somptuosité de la table, la naissante verdure des jardins, la sérénité d’un ciel pur, et surtout l’amabilité d’un hôte qui, au milieu de ses convives, sembloit être l’amoureux de toutes les femmes, le meilleur ami de tous les hommes, enfin tout ce qui peut répandre la belle humeur dans un repas, y avoient exalté les esprits. Moi qui me sentois le plus libre des hommes, le plus indépendant, j’étois comme l’oiseau qui, échappé du lien qui le tenoit captif, s’élance dans l’air avec joie ; et, pour ne rien dissimuler, l’excellent vin qu’on me versoit contribuoit à donner l’essor à mon âme et à ma pensée.

Au milieu de cette gaieté, le jeune fils de Mme Gaulard nous faisoit ses adieux ; et, en me parlant de Bordeaux, il me demanda s’il pouvoit m’y être bon à quelque chose. « À m’y bien rece-

  1. Catherine-Suzanne Josset, veuve de Charles Gaulard, était aussi la mère de Mme Bouret de Villaumont, dont il sera question plus loin.