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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/168

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fait le séjour de Bordeaux : la guerre maritime faisoit des plaies profondes au commerce de cette grande ville. Le beau canal que j’avois sous les yeux ne m’en offroit que les débris ; mais je me formois aisément l’idée de ce qu’il devoit être dans son état paisible, prospère et florissant.

Quelques maisons de commerçans, où l’on ne jouoit point, étoient celles que je fréquentois le plus et qui me convenoient le mieux ; mais aucune n’avoit pour moi autant d’attrait que celle d’Ansely[1]. Ce négociant étoit un philosophe anglois, d’un caractère vénérable. Son fils, quoique bien jeune encore, annonçoit un homme excellent ; et ses deux filles, sans être belles, avoient un charme naturel dans l’esprit et dans les manières qui m’engageoit autant et plus que n’eût fait la beauté. La plus jeune des deux, Jenny, avoit fait sur mon âme une impression vive. Ce fut pour elle que je composai la romance de Pétrarque, et je la lui chantai en lui disant adieu.

Dans les loisirs que me laissoit la société d’une

  1. Le nom d’Ansely ne figure ni sous cette forme, ni sous aucune autre, dans les répertoires locaux de l’époque, et il ne semble pas qu’à l’exception de Marmontel, ses contemporains aient apprécié les qualités que celui-ci se plaît à lui reconnaître. La romance de Pétrarque et l’Épître aux poètes ont été recueillies dans l’édition des Œuvres de l’auteur donnée par lui-même (1787).