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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/20

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messe, je lui demandai avec une respectueuse assurance l’emploi qu’elle m’avoit promis pour le mari de ma sœur. « Je vous ai oublié, me dit-elle en courant, et je l’ai donné à un autre, mais je vous en dédommagerai. » Je l’attendis à son retour, et je lui demandai un moment d’audience. Elle me permit de la suivre.

« Madame, lui dis-je, ce n’est plus un emploi ni de l’argent que je vous demande, c’est mon honneur que je vous conjure de me laisser, car, en me l’ôtant, vous me donneriez le coup de la mort. » Ce début l’étonna, et je continuai : « Aussi sûr de l’emploi que vous m’aviez promis que si je l’avois obtenu, je l’ai annoncé à mon beau-frère. Il a dit dans Saumur que j’en avois votre parole ; il l’a écrit à sa famille et à la mienne ; deux provinces en sont instruites ; je m’en suis moi-même vanté et à Versailles et à Paris, en y parlant de vos bienfaits. Or, Madame, personne ne se persuadera que vous eussiez accordé à un autre l’emploi que vous m’auriez formellement promis. On sait que vous avez mille moyens de faire du bien à qui vous voulez. Ce sera donc moi qu’on accusera de jactance, de mauvaise foi, de mensonge, et me voilà déshonoré. Madame, j’ai su vaincre l’adversité, j’ai su vivre dans l’indigence ; mais je ne sais pas vivre dans la honte et le mépris des gens de bien. Vous avez la bonté de vouloir dédommager mon beau-frère ; mais moi,