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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/334

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succès à l’un et à l’autre allèrent toujours en croissant. Jamais travail ne m’a donné des jouissances plus pures. Mes acteurs de prédilection, Clairval, Caillot, Mme La Ruette, étoient les maîtres de leur théâtre. Mme La Ruette nous donnoit à dîner. Là je lisois mon poème, et Grétry chantoit sa musique. L’un et l’autre étant approuvés dans ce petit conseil, tout se préparoit pour mettre l’ouvrage au théâtre ; et, après deux ou trois répétitions, il étoit donné.

La sincérité de nos acteurs à notre égard étoit parfaite ; soit pour leurs rôles, soit pour leur chant, ils savoient ce qu’il leur falloit ; et ils avoient un pressentiment des effets plus infaillible que nous-mêmes. Pour moi, je n’hésitois jamais à déférer à leurs avis ; quelquefois même ils m’accusoient d’être trop docile à les suivre. Par exemple, dans l’intervalle de Lucile à Sylvain, j’avois fait un opéra-comique en trois actes de celui de mes Contes qui a pour titre le Connoisseur. J’en fis lecture au petit comité. Grétry en fut charmé, Mme La Ruette et Clairval applaudirent ; mais Caillot fut froid et muet. Je le pris en particulier. « Vous n’êtes pas content, lui dis-je ; parlez-moi librement, que pensez-vous de ce que vous venez d’entendre ? Je pense, me dit-il, que ce n’est qu’un diminutif de la Métromanie ; que le ridicule du bel esprit n’est pas assez piquant pour un parterre comme le