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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/355

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est aussi trop semblable à celui qu’on nous attribue. Si je jouois l’Ami de la maison comme vous l’entendez et comme je le sens, aucune mère ne voudroit plus me laisser auprès de sa fille. — Et Tartufe, lui dis-je, ne le joueriez-vous pas ? — Tartufe, me dit-il, n’est pas si près de nous ; et l’on ne craint pas, dans le monde, que nous soyons des Tartufes. »

Rien ne put vaincre sa répugnance pour un rôle qui lui feroit, disoit-il, d’autant plus de tort qu’il l’auroit mieux joué. Cependant j’avois observé que La Ruette le convoitoit, et je m’aperçus que sa femme pensoit qu’après Caillot je ne pouvois le donner qu’à lui. Grétry pensoit de même ; je me laissai aller je m’en repentis dès les premières répétitions. Ce rôle demandoit de la jeunesse, de la vivacité, du brillant dans la voix, de la finesse dans le jeu. Le bon La Ruette, avec sa figure vieillotte et sa voix tremblante et cassée, y étoit fort déplacé. Il l’éteignit et l’attrista ; comme il étoit mal à son aise, il ne s’y livra pas même à son naturel il fit manquer toutes les scènes.

De son côté, Mme La Ruette, qui avoit un peu de pruderie[1], se persuadant que la finesse et la

  1. Mme d’Houdetot disait plaisamment que Mme La Ruette avait de la pudeur « jusque dans le dos ». (Corresp. litt. de Grimm, XI, 443.)