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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/6

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J’avois déjà fait connoissance avec M. de Marigny dans la société des intendans des Menus-Plaisirs, et par eux j’avois su quel étoit l’homme à qui sa sœur m’avoit recommandé de ne manquer jamais. Quant à l’intention, j’étois bien sûr de moi ; la reconnoissance elle seule m’eût inspiré pour lui tous les égards que ma position et sa place exigeoient de la mienne ; mais à l’intention il falloit ajouter l’attention la plus exacte à ménager en lui un amour-propre inquiet, ombrageux, susceptible à l’excès de méfiance et de soupçons : La foiblesse de craindre qu’on ne l’estimât pas assez, et qu’on ne dît de lui, malignement et par envie, ce qu’il y avoit à dire sur sa naissance et sa fortune ; cette inquiétude, dis-je, étoit au point que, si en sa présence on se disoit quelques mots à l’oreille, il en étoit effarouché. Attentif à guetter l’opinion qu’on avoit de lui, il lui arrivoit souvent de parler de lui-même avec une humilité feinte pour éprouver si l’on se plairoit à l’entendre se dépriser ; et alors, pour peu qu’un sourire ou un mot équivoque eût échappé, la blessure en étoit profonde et sans remède. Avec les qualités essentielles de l’honnête homme, et quelques-unes même des qualités de l’homme aimable, de l’esprit, assez de culture, un goût éclairé dans les arts, dont il avoit fait une étude (car tel avoit été l’objet de son voyage en Italie), et, dans les mœurs, une droi-