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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/71

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Parmi mes connoissances, il y avoit à Paris un jeune homme appelé Suard, d’un esprit fin, délié, juste et sage, d’un caractère aimable, d’un commerce doux et liant, assez imbu de belles-lettres, parlant bien, écrivant d’un style pur, aisé, naturel et du meilleur goût, discret surtout, et réservé avec des sentimens honnêtes. Ce fut sur lui que je jetai les yeux. Je le priai de venir me voir à Paris, où je m’étois rendu pour lui épargner le voyage. D’un côté, cette place lui parut très avantageuse ; de l’autre, il la trouvoit assujettissante et pénible. On étoit en guerre ; il falloit suivre le comte de Gisors dans ses campagnes ; et Suard, naturellement indolent, auroit bien voulu de la fortune, mais sans qu’il lui en coûtât sa liberté ni son repos. Il me demanda vingt-quatre heures pour faire ses réflexions. Le lendemain matin il vint me dire qu’il lui étoit impossible d’accepter cette place ; que M. Deleyre, son ami, la sollicitoit, et qu’il étoit recommandé par M. le duc de Nivernois. Deleyre étoit connu de moi pour un homme d’esprit, pour un très honnête homme, d’un caractère solide et sûr, d’une grande sévérité de mœurs. « Amenez-moi votre ami, dis-je à Suard ; ce sera lui que je proposerai, et la place lui est assurée. » Nous convînmes avec Deleyre de dire simplement que, dans mon choix, je m’étois rencontré avec le duc de Nivernois. M. de Gisors fut charmé de