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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/88

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mesure, chez elle on pouvoit dire ce que Virgile a dit des abeilles :


Hi motus animorum atque hæc certamina tanta
Pulveris exigui jactu compressa quiescent.


C’étoit un caractère singulier que le sien, et difficile à saisir et à peindre, parce qu’il étoit tout en demi-teintes et en nuances ; bien décidé pourtant, mais sans aucun de ces traits marquans par où le naturel se distingue et se définit. Elle étoit bonne, mais peu sensible ; bienfaisante, mais sans aucun des charmes de la bienveillance ; impatiente de secourir les malheureux, mais sans les voir, de peur d’en être émue ; sûre d’être fidèle amie et même officieuse, mais timide, inquiète en servant ses amis, dans la crainte de compromettre ou son crédit ou son repos. Elle étoit simple dans ses goûts, dans ses vêtemens, dans ses meubles, mais recherchée dans sa simplicité, ayant jusqu’au raffinement les délicatesses du luxe, mais rien de son éclat ni de ses vanités. Modeste dans son air, dans son maintien, dans ses manières, mais avec un fonds de fierté et même un peu de vaine gloire. Rien ne la flattoit plus que son commerce avec les grands. Chez eux, elle les voyoit peu ; elle y étoit mal à son aise ; mais elle savoit les attirer chez elle avec une coquetterie imperceptiblement flatteuse ; et dans l’air aisé, naturel, demi-respectueux et